Préambule

Au hasard des Arts…

Un blog pour tous, pour rêver, partager une découverte, un regard, donner envie de voir, revoir, savoir, et même chercher, s’interroger, s’insurger, s’étonner, s’émerveiller…
Franchement, ces arts, quel bazar !!!

Le hasard des Arts, n’est pas véritablement un hasard, si ce n’est qu’il sera dicté par l’aléatoire
du livre que j’aurai lu,
du film que j’aurai vu,
de l’expo que j’aurai découverte
de l’émotion que j’aurai ressentie pour un poème, une toile, une sculpture...

Et que sais-je encore ?
Nous allons découvrir et partager, tout cela ensemble.
Des évènements dictés par l’actualité, mais aussi par la découverte ou la redécouverte d’un artiste, d’une œuvre.


Je vous livrerai ainsi le fruit de mes réflexions, de mes engagements, et de mes combats …
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dimanche 5 juillet 2015

Au bonheur des dames - Emile Zola


Aujourd’hui, je vous propose de lire, relire, un roman d’Emile Zola « Au bonheur des Dames »…
Gil Blas un quotidien de la presse française fondé par Auguste Dumont -
Dans son supplément hebdomadaire, il publie en feuilletons des romans de Zola, de Maupassant ...

Ce livre, paru en 1883, est une mine d’informations sur l’époque du second Empire, une grande fresque sociale où s’y mêlent dans un foisonnement passionnant  -l’histoire et la naissance des grands magasins et du commerce moderne, -la mort des petites boutiques avec le récit des drames et des désespoirs inhérents à cet état de fait -l’évolution de Paris sous l’égide du Baron Haussmann, --la condition ouvrière, -une histoire d’amour entre Denise Baudu petite provinciale orpheline et Octave Mouret grand patron et propriétaire du magasin « Au bonheur des Dames »,  -une galerie de portraits brossée de fine psychologie.
Ecrit en 6 mois, Emile Zola a bâti son histoire, sur un énorme travail préparatoire, pour donner réalité aux thèmes qui jalonnent son écrit. Il est allé par exemple en observation dans le magasin « Les galeries du Louvre » ouvert depuis l’exposition universelle de 1852, puis un mois complet au Bon Marché créé la même année par Alexandre Boucicaut. Installés sur les grands boulevards parisiens, ils disposent déjà de comptoirs multiples, régulièrement ré-assortis.Ces magasins remplacent les échoppes anciennes, font disparaître les marchandes de frivolités du 18ième siècle. 
Mille traits pour écrire ce roman passionnant, attachant, instructif, où une bluette amoureuse, les heurs et malheurs du commerce servent de fil conducteur à l’ouvrage. La variété des sujets compose le tableau coloré d’une époque qui ne connaît pas encore le cyber commerce et qui pourtant signe son entrée dans la modernité.
Dès la première page du livre, le lecteur est séduit par la richesse du vocabulaire en même temps que  la forme ampoulée datant d’un siècle terminé et dont le charme se distille tout au long de la lecture. Voici le premier regard que porte Denise sur l’étalage de la porte centrale du « Bonheur des Dames ».
« A côté, encadrant le seuil, pendaient des lanières de fourrure, des bandes étroites  pour garnitures de robe, la cendre fine des dos de petit-gris, la neige pure des ventres de cygne, les poils de lapin de la fausse hermine et de la fausse martre. Puis en bas, dans des casiers, débordaient des articles de bonneterie vendus pour rien, gants et fichus de laine tricotés, capelines, gilets, tout un étalage d’hiver, aux couleurs bariolées, chinées, rayées, avec des taches saignantes de rouge. Denise vit une tartanelle à quarante cinq centimes, des bandes de vison d’Amérique à un franc, et des mitaines à cinq sous. C’était un déballage géant de foire, le magasin semblait crever et jeter son trop-plein à la rue. »
 
Chez la modiste - 1883 - Degas
Madrid - Musée Thyssen
 « Au bonheur des Dames » de Zola, s’adresse à tous les âges, la trame du récit est si riche que chacun y trouve un intérêt …Le roman reste d’une actualité surprenante. Il est extraordinaire d’y découvrir les techniques de vente qui gardent encore toute leur actualité. Le personnage d’Octave Mouret, sans doute inspiré par les vies d'Alexandre Boucicaut ou Alfred Chauchard, esquisse l’histoire d’un pionnier du grand commerce.
La méthode d’Octave Mouret se résume en cette phrase de Zola « Vendre bon marché pour vendre beaucoup, vendre beaucoup pour vendre bon marché ». Il s’agit là d’une révolution culturelle et commerciale. Zola sous l’action d’Octave Mouret nous décrit toutes ces méthodes en matière de vente déjà en cette fin de 19ième siècle :
-          Proposer des étals à l’extérieur du magasin, pour appâter et tenter les clientes
-           Diversifier le choix, plus de rayons, plus de variétés dans la couleur, les matières, les formes, les textures, être sans cesse innovant.
-          Mettre en place des éléments de concurrence par rapport aux autres magasins.
-          Vendre à perte un article attractif en sachant que l’on en vendra d’autres sur lequel on rétablira le bénéfice.
-          Pousser à la consommation, plaire à la clientèle et la capturer, s’adapter aux besoins et aux envies
-          Réaliser des coups commerciaux et faire s’envoler les ventes,.
-          S’assurer l’engagement des employés responsables on dirait aujourd’hui « des cadres », instaurer la participation et l'intéressement, distribuer des primes, des bonifications.
-          Agrandir sans cesse le magasin
-          Remettre les gains dans l’affaire avec la prise de risque que cela suppose. Octave Mouret veut selon l’expression de Zola « le renouvellement continu et rapide du capital »
L’infrastructure du magasin est parfaitement pensée avec la réception des ballots de marchandises dans les sous-sols, un service d’expédition, de livraison, une caisse centrale pour la facturation. Tout est pensé de la publicité dans les catalogues, jusqu’aux ballons rouges marqués au nom de l’enseigne et que les enfants promènent fièrement dans la ville.
Octave Mouret règne en maître sur son magasin qui est en même temps une machine à exploiter ses employés, et dont le récit manifeste de la difficile condition ouvrière.
-          Il n’y a aucune protection sociale
-          A la morte saison, une partie des employés est licenciée sans aucune indemnité.
L’ambiance entre les employés génère jalousies, ambitions, haines sournoises, malfaisances. Le petit employé est là pour servir, il se tait, s’exténue, s’use ou « passe à la caisse » comme le décide L’« Inspecteur Jouve » surveillant partial et tout puissant du magasin.
Le principe de réussite d’Octave Mouret repose sur la témérité, il ose faire ce qui n’a jamais été fait. Il a de la chance, du flair et de l’audace, il est bien entouré et conseillé, il sait choisir ses appuis. Voici une analyse d’Octave Mouret livrée à un de ses amis:
« Vois-tu c’est de vouloir et d’agir, c’est de créer enfin. Tu as une idée, tu l’enfonces à coups de marteau dans la tête des gens, tu la vois grandir et triompher… 
Vraiment, il fallait être mal bâti, avoir le cerveau et les membres attaqués pour se refuser à la besogne, en un temps de si large travail, lorsque le siècle entier se jetait à l’avenir. Et il raillait les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades de nos sciences commençantes qui prenaient des airs pleureurs de poètes ou des mines pincées de septiques, au milieu de l’immense chantier contemporain. »
 
Percement de l'Avenue de l'Opéra - 1877
Photo Charles Marville - 
Au chapitre VIII du roman, Zola fait œuvre d’historien, il raconte le percement de l’avenue de l’Opéra, la disparition des rues étroites et insalubres. Napoléon III vit aux Tuileries, il est donc nécessaire de lui offrir une vue depuis sa résidence à la hauteur de son impérialité ! L’Opéra Garnier a besoin d’une perspective pour être mis en valeur. Les meilleurs sculpteurs ornent  la façade: la Danse de Carpeaux, le drame de Falguière pour ne citer qu’eux…On abat, on détruit, on arase, on démolit pour ouvrir une avenue magnifique, permettre à l’Empereur de se déplacer dans de larges avenues sans craindre un nouvel attentat…

Au bonheur des Dames - L'escalier à double révolution
Simultanément, grâce aux nouvelles techniques, aux nouveaux alliages se met en place l’architecture métallique, extraordinaire époque des pavillons Baltard, des Halles centrales, de la construction de la gare du Nord, des magasins du Printemps, de la Samaritaine et le Bon Marché avec pour maître d’œuvre Gustave Eiffel… Ainsi Zola décrivant l’intérieur du magasin d’Octave Mouret, le Bonheur des Dames, livre un témoignage historique et architectural qui se réfère sans nul doute au magasin de Monsieur Boucicaut…. Voici l’extrait
« C’était comme une nef de gare, entourée par les rampes des deux étages, coupée d’escaliers suspendus, traversée de pont volants. Les escaliers de fer, à double révolution, développaient des courbes hardies, multipliaient les paliers ; et tout ce fer mettait là, sous la lumière blanche des vitrages, une architecture légère, une dentelle compliquée où passait le jour, la réalisation moderne d’un palais du rêve, d’une Babel entassant des étages, ouvrant des échappées sur d’autres étages. Le fer régnait partout, le jeune architecte avait eu l’honnêteté et le courage de ne pas le déguiser sous une couche de badigeon imitant la pierre ou le bois… »
 
Avenue de l'Opéra - 1898 - Camille Pissaro
Musée des Beaux-Arts de Reims
Dans la collection des Rougon-Macquart, le livre « Au bonheur des Dames » de Zola est une ode à l’évolution des activités modernes. Il dépeint l’essor des  grands magasins, le milieu de la petite bourgeoisie, avec des portraits aiguisés des différents types de femmes de la prude et douce Denise à la « névrosée du chiffon » (expression utilisée dans l’introduction du livre,-collection le livre de Poche)… 
Il porte une attention réaliste à la dure condition des vendeurs en y décrivant en parallèle la réussite du grand patron. Un patron qui établit une religion nouvelle, celle du grand commerce au sein du « temple de la mode », de ses multiples tentations en spéculant sur l’image d’une femme frivole, dépensière et toute puissante. Le dénouement « fleur bleue » est une morale optimiste qui diffère des autres romans de la fresque des Rougon-Macquart. Denise rachète à elle seule par sa bonté, sa droiture et son honnêteté les erreurs et les fautes des autres…
Napoléon III est au pouvoir, il prône un retour aux bonnes mœurs, le livre en est le vibrant témoignage…

A côté des ouvrages qui sortent actuellement en librairie, je vous conseille d’ajouter dans vos lectures d'été ce « poche » de moins de 5 € en mesure de ravir tous les âges !
Bonne lecture, au revoir, à bientôt…


Lectures et sites consultés
- Au bonheur des dames - Collection livre de poche

Le réalisme épique d'Emile Zola

www.lyc-lurcat-perpignan.ac-montpellier.fr/intra/fra/.../realepiq.htm


mercredi 26 novembre 2014

Le philosophe qui n'était pas sage de Laurent Gounelle

Le philosophe qui n'était pas sage de Laurent Gounelle

Aujourd’hui, je voudrais vous parler lecture, et d’un auteur Laurent Gounelle. 
Cet écrivain né en 1966 en est à son quatrième livre.
Les titres de ses ouvrages, « L’homme qui voulait être heureux » « Les dieux voyagent toujours incognito » « le jour où j’ai appris à vivre », et celui dont je vais vous entretenir « le philosophe qui n’était pas sage » montrent un homme qui fait la tentative d’analyser la vie, sa vie, et d’en comprendre le fonctionnement… Ses romans ont tous le but d’appréhender le monde dans lequel nous vivons, avec l’objectif de prendre conscience de soi, d’interpréter ses propres réactions, trouver sa liberté, se débarrasser des  inhibitions, des conditionnements, de certains modes de pensée, pour découvrir le chemin de l’autonomie, de l’indépendance et accéder à la sagesse.
Ce « philosophe qui n’était pas sage » paru en 2012 dans une coédition Plon/Kero, également disponible chez Pocket dénonce sous forme de satire, la société occidentale moderne, en listant les préconçus, les objets, les idées qui créent l’enfermement en toute inconscience. Ce temps d’aujourd’hui dans lequel nous vivons, a fait perdre la capacité de réflexion personnelle en même temps que le manque de fusion avec la nature.
Laurent Gounelle nous conduit à ces découvertes et ces observations au travers d’une histoire qui pourrait être une fable poétique et introspective…. Une parabole délicate et sensible où la beauté de la nature s’exalte dans un lyrisme romanesque, exquis et gracieux.

Une fleur de porcelaine














La passiflore ou fleur de maracudja 


























Partageons ces quelques phrases:
« Elianta posa un pied dans l’eau. Un frisson parcourut son corps. Elle avança, s’immergeant lentement dans la fraîcheur. Elle ferma les yeux et se délecta de cette sensation délicieusement ambiguë, ce moment unique où le corps hésite entre la crainte du froid et son désir, puis son basculement vers le bien-être total. Elle laissa son visage glisser sous l’eau et fit quelques brasses dans l’apaisant silence aquatique. Elle émergea quelques mètres plus loin, et continua de nager en direction de l’autre berge, nue et libre. Elle s’adossa à une branche qui effleurait la surface. Des gouttes perlèrent sur son front et roulèrent doucement jusqu’à ses lèvres entrouvertes. 

Autour du bassin, quelques arbustes, des buissons fleuris et des bambous se partageaient le rivage. L’air était délicatement parfumé des senteurs des petites fleurs bleues et roses. Elle ferma les yeux et savoura l’instant. Son corps, léger, flottait entre deux eaux, ondulant sous le faible courant. Elle était si bien. Le temps se dilatait à l’infini, sublimant ce moment en une éternité de plaisir »


Le livre « Le philosophe qui n’était pas sage » n’est pas une ode rêveuse à la nature. C’est l’histoire d’un homme instruit, Sandro,  professeur de philosophie qui quitte tout pour se rendre dans une tribu au fin fond de l’Amazonie. Il ne part pas pour une étude ethnologique, il s’y rend dans l’objectif de détruire l’équilibre naturel d’un groupe. Car Sandro le héros du livre, leur attribue le sacrifice rituel de son épouse journaliste, en reportage dans ce clan.   
Comment un homme intelligent peut-il vouloir se rendre coupable d’une telle violence ? L’objectif de Sandro n’est pas de tuer, de piller, son action est beaucoup plus subtile, il veut introduire dans cette peuplade, de nouveaux cadres de référence, qui au lieu de libérer, rendront mentalement prisonniers. Voici ce qu’il conçoit:
- Rompre l’unité du groupe, en apprenant l’individualisme.
- Initier l’esprit de compétition pour induire le sentiment de supériorité par rapport à l’autre
- Infuser la jalousie par le biais de la comparaison et de l’envie.
- Couper les gens de la nature, de leurs racines et de leurs rites.
- Introduire des maladies.
- Créer de nouveaux besoins et prendre conscience du manque.
- Faire perdre la confiance en soi et en l’autre.
 En quelque sorte, ne serait-ce pas introduire les défauts et les difficultés du monde moderne au cœur d’une tribu pacifique qui vit du respect du groupe, de l’entité individuelle, de l’écoute, de l’attention portée aux petits comme aux anciens, dans la considération de l’espace qui les abrite ?
 Je vous livre quelques réflexions de ce philosophe qui n’est pas sage, bien qu’il soit en mesure de faire référence au « divertissement » de Blaise Pascal, voici l’extrait :
«Divertissement : l’investissement des tâches professionnelles à l’abandon de soi, l’homme faisant tout pour oublier, pour s’oublier… 
Ces maudits Indiens n’étaient pas en proie à ce genre de choses… Puisqu’ils se voyaient faisant partie d’un Tout qui les dépassait en les englobant, ils acceptaient même la mort, convaincus que leur âme ferait toujours partie de l’univers. D’où leur sérénité, leur confiance en la vie. Sandro se dit qu’il parviendrait à les couper de ce grand Tout, à les isoler, à détruire leurs croyances en un lien invisible qui unit tous les êtres vivants, hommes, animaux et plantes. Il fallait les confronter au vide d’une vie purement individualiste et, devant cet abîme d’absurdité, ils ressentiraient le vertige d’une existence dénuée de sens. La peur de la mort surgirait enfin en eux, et il suffirait de les abreuver de divertissements pour qu’ils passent complètement à côté de leur vie »

Musique: « No me dejes, canoita » 

Au fil des pages de ce livre  « Le philosophe qui n’était pas sage », on se demande comment un homme brillant, instruit comme Sandro peut accepter de soumettre un peuple à cette brutalité méprisante et avilissante. Le mode de vie de ces Indiens, tellement  en osmose avec la nature et la considération des autres nous laissent à penser qu’il y a forcément un maillon manquant à notre connaissance sur la mort de l’épouse de Sandro, mais nécessaire à la construction du roman.
Il existe une opposition entre la douleur, la rancune rageuse de Sandro  et la sérénité douce de ce peuple accueillant, joyeux tellement en phase avec l’âme du cosmos…
Dieu est avec eux, ils le savent, ce n’est pas une fierté, c’est une paisible certitude.

Un livre qui raconte la beauté du monde, et met en scène dans un conte onirique la confrontation de deux modes de vie totalement opposés.
Une civilisation, la nôtre, assourdie par le bruit, les modes, les diktats, les obligations et les contraintes contre celui de la sensibilité, de la beauté, des splendeurs qui entoure, où l’on sait percevoir l’insaisissable… Entendre chanter le vent, murmurer les rivières, parler aux arbres, sentir l’odeur de l’eau, humer le parfum des fleurs,  aimer l’ombre et lumière, se réjouir de la pluie et du soleil…


Laurent Gounelle analyse notre culture moderne marquée, rythmée par les obligations, la course du temps, les images, les médias, les conflits, la compétition. Il l’analyse et la compare avec cette culture du « bon sauvage » où les valeurs de compétition, d’argent n’existent pas, où la beauté ne s’érige pas à coups de canons.
Son livre interpelle provoquant une réflexion, une interrogation sur le monde actuel qui aveugle, enserre, uniformise, détermine les décisions et fait perdre autant l’autonomie intellectuelle que la relation à l’univers sensible.
Influencés, manipulés de façon subliminale, nous passons, peut-être, sans doute, à côté de l’harmonie, de la poésie, de la simplicité, de la pureté, du vrai, des sentiments et des émotions pour nous livrer tout entier à une conformité standardisée qui prive de l’originelle nature.
Laurent Gounelle nous dit que le bonheur est en soi, il ne tient qu’à notre volonté de faire vibrer ces cordes qui existent en nous.
La plume de l’auteur formule sa pensée avec les mots de Marc-Aurèle:
« Vivre chaque jour comme si c’était le dernier,
Ne pas s’agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant »



Références et infos sur les fleurs d’Amazonie

mercredi 3 septembre 2014

Réparer les vivants de Maylis de Kérangal

C’est avec plaisir que je vous retrouve après ces mois d’été. Au cours de cette période, nous avons peut-être changé d’horizon, reçu des amis, partagé des moments de joies familiales… ou encore lu, écrit, travaillé, réfléchi...

Pour ouvrir cette nouvelle saison, je voudrais vous présenter le dernier livre de Maylis de Kérangal. Le roman a été publié aux éditions Verticales. L’auteure, une femme née en 1967 a déjà été distinguée par le prix Médicis et récemment par les Grand Prix RTL et France Culture-Télérama  pour ce roman, dont je vais vous entretenir : « Réparer les vivants »



Ce livre grave et pourtant porteur d’espérance ne s’oublie pas la dernière page tournée.
Une grande partie de cet écrit porte sur la description du désespoir familial causé par la mort accidentelle d’un jeune homme. Puis une seconde partie découlant de la première exprime la possibilité de« réparer les vivants » par le don et la réception d’organes de celui qui vient de mourir. C’est en quelque sorte une méditation sur la mort et la résurrection.


 « Réparer les vivants » de Maylis de Kérangal, Simon vient d’être déclaré mort cliniquement. Il n’y a rien plus rien à faire ni à espérer. Aujourd’hui la mort ne se limite pas à l’arrêt du cœur, il se signe aussi avec l’abolition des fonctions cérébrales, c’est le cas pour ce jeune homme.
Il faut joindre les parents, c’est la mère qui reçoit l’appel. Une demande, en termes sobres dit de venir vite, -vite, car le fils a eu un grave accident…

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka
www.la-pieta.org/
Qui a-t-il de plus terrible pour une mère que de recevoir un tel appel et de comprendre dans sa chair ce qu’il signifie?
C’est à la fois l’Angoisse et l'Urgence qui poussent cette femme à dépasser sa peur, car si la raison ne sait pas de manière certaine, le cœur et l’amour, eux, ont compris dans le laconisme des mots entendus que le malheur vient de frapper à la porte ! Il faut partir, courir, voler jusqu’à l’hôpital…
Et pour cette maman, l’urgence est de voir son enfant, le toucher, lui parler!
Pourquoi? Pour saisir la vie, la rattraper parce qu'une mère ne peut soumettre sa raison à une telle horreur.
Vouloir l’entourer et l'enfermer dans ses bras, s'engloutir dans l'amour porté dans un déni de réalité.
Agir en animal, le serrer le protéger, louve désespérée, lionne rugissante de douleur.
Refuser la vérité, s'acharner contre l'inéluctable, dans un combat inégal et déchirant,
ravagée par le malheur ... 
Etre face à la violente brutalité de la nouvelle. Garder son enfant, il a 20 ans, c'est encore un bébé !

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
Et puis, face aux parents réunis dans le déchirement et l’abattement, les soumettre à une nouvelle épreuve quand l’équipe médicale demande le prélèvement des organes. Comment accepter, concevoir, envisager qu'on spolie le corps de son enfant, qu'on le profane dans son entité ? Certes pour la vie ! Oui, mais pas pour celle de ce petit qui semble encore si vivant sous le respirateur artificiel ! 

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
La douleur anesthésie la réflexion, et les gestes d'humanité pour les autres sont hors du champ de conception. Non pas par égoïsme mais parce que la souffrance,  l’accablement coupent de la raison. Les parents de Simon mobilisent leurs forces pour résister au cataclysme de leur vie, à la dévastation de l’espérance, à leur anéantissement. 


Le style d’écriture de ce livre est haché, coupant, incisif, cru, dur, comme la réalité effroyable qu'il faut assumer.
Des mots qui étreignent, oppressent, enserrent. Une plongée en apnée dans le désespoir, la peur, la souffrance, l'amour arraché. Violence d'un événement qui s'inscrit banalement dans une feuille de journal et qui vrille en douleur palpitante dans le cœur et l'âme quand il s’abat dans une famille.

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
L'écriture se place sur plusieurs registres. Elle décrit précisément, l’anéantissement des parents,  le respect du corps médical face au chagrin en même temps que la vision prospective de sauver d’autres vies par le prélèvement des organes sains, les choix efficaces à faire par l’hôpital. Les regards silencieux du personnel qui comprend ce qui va se négocier lorsqu'il voit arriver le réfèrent aux transplantations, quand rien n’est encore décidé ...
Ne rien dire pour épargner les affligés!
Tout cela est parfaitement retranscrit dans ce livre.
 
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
Je vous lis un passage : les parents de Simon doivent donner leur réponse très rapidement pour le prélèvement d’organes, car le temps presse… Ils refusent ou ils acceptent, c’est un libre choix. Ils sortent de l’hôpital, vont marcher au bord de l’eau, pour prendre leur décision. Voici l’extrait :
« Marianne songe, c’est trop, on va crever. Ils arrivent en vue du fleuve, ils sont surpris, ont le souffle court, les pieds trempés mais avancent vers la berge. Marianne voudrait crier quand sa bouche n’émet aucun son, rien, le pur cauchemar- […] il y a ce bateau à coque sombre qui se présente au loin sur leur gauche, unique embarcation en amont, et en aval un bateau solitaire qui désigne à lui seul l’absence de tous les autres. […] le bourdonnement du vraquier se rapproche par la gauche, la couleur de la coque se précise, un rouge huileux, l’exacte couleur du sang séché, c’est un bateau chargé de grain, il descend vers la rivière, descend vers la mer, descend en tenant son chenal quand tout s’évase ici : les eaux et les consciences, tout conflue vers le large, vers l’informe et l’infini de la disparition… Le sillage bouillonne et s’apaise, le vraquier s’éloigne, et le fleuve reprend sa texture initiale »
Impression soleil levant - Monet - 1872
Musée Marmottan-Monet Paris

Pourquoi ai-je choisi la lecture d'un morceau de quotidien, extérieur à l'histoire ? Parce que quel que soit le désespoir des parents de Simon, celui-ci ne représente rien dans le cours de la vie des autres. Ce cataclysme personnel n’est rien face aux préoccupations du monde, c’est un évènement privé. La vie continue de se vivre pour les autres, calme, imperturbable ou pressée ...
Dans le regard de ces parents, qui voient un bateau s’éloigner,  il y a la vision d’autres vies qui existent, ils n’en sont pas acteurs, ils sont dans un ailleurs et se perçoivent déjà en décalage d’un quotidien qu’ils ne regarderont plus jamais de la même façon. C'est la cruelle réalité, comprendre que la vie ne s'est arrêtée que pour eux.
Ils voient sans regarder et analysent avec le recul de leur profonde affliction. Leur chagrin est intime, il n'existe pas au regard de la vie des autres, de l’immensité du monde.
Ils ont la conscience de l'instant présent, Simon vit en eux, il est juste absent, il ne manque pas encore... La prise de conscience de l'événement s'inscrira dans leur cœur, leur compréhension,  par l'épreuve et l'expérience du manque, de l'envie, du besoin viscéral de le revoir, le toucher, entendre sa voix, l'aimer en un mot !
Ils ne peuvent que -pleurer -prier -implorer…
Il faut mourir à l’instant ou continuer à vivre!
Et comme le vraquier, ils s’avanceront « vers l’infini de la disparition », et le cours de leur vie reprendra, seulement en apparence, « sa texture initiale ».

Dans ce livre de Maylis de Kérangal le résumé de la quatrième de couverture dit : « Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque »…
Pourtant, les 200 premières pages du roman,  nous emmènent au cœur des chagrins, des pensées, des émotions ressenties par toute une famille endeuillée. Nous traversons avec elle, l’épreuve du désespoir.
Seules les 80 dernières pages racontent -prélèvement et -transplantation, et tous les commentaires que l’on trouve dans les médias, s’en font largement l’écho, c’est pourquoi j’ai choisi le premier versant du livre.
L’auteure ajuste en termes sobres et pudiques, des mots de mort et de résurrection. Ils transcrivent ou l’expérience personnelle ou la sensible observation.
Des paroles pour apaiser le chagrin et l’estomper devant l’espérance d’une vie renouvelée...

Au revoir, à bientôt.

mercredi 14 mai 2014

Le collier rouge de Jean-Christophe Rufin

Le collier rouge de Jean Christophe RUFIN

Je voudrais vous parler du dernier  livre de Jean-Christophe Rufin.
Vous connaissez cet auteur, médecin, ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie, il a écrit entre autres « L’abyssin » « Rouge-Brésil » tous deux Goncourt en1997 et 2001, puis « Jacques Cœur », et ce dernier roman paru chez Gallimard « Le collier rouge »

Première de couverture "Le collier rouge"
Le bandeau du livre montre un chien décoré de la Croix de Guerre avec deux étoiles
(voir le site: Les chiens de France de la Grande Guerre 1914 - 1918)

Si vous avez lu le résumé ou des articles concernant le livre, vous savez qu’il s’agit d’un court écrit racontant une histoire qui se situe pendant l’été  1919, où un héros de guerre est incarcéré dans une caserne déserte pour une faute dont on ne nous dit rien. Là arrive un officier-aristocrate pour enquêter, comprendre l’affaire et juger la faute. Il y a aussi une femme, Valentine,  qui attend et se tait, et un chien qui hurle à la mort tout le long des pages du livre…
C’est un roman d’atmosphère qui traduit les chaleurs de l’été en Berry, c’est aussi une réflexion sur les hommes dans une après-guerre difficile et toujours … un chien qui aboie et manifeste en leitmotiv son courage, sa fidélité, dans la volonté d’être entendu, de transmettre un message.
Non, il ne s’agit pas d’un roman mièvre sur la relation d’un homme et d’un chien. Ses aboiements résonnent comme des questions, des interrogations, des plongées au fond de nous-mêmes. Il nous faut avec le juge de l’histoire, dénouer les mystères, les secrets d’un homme qui s’enfonce dans sa provocation. Comprendre les raisons qui ont amené le caporal Morlac, au fond de cette petite prison de province.

Le livre retrace les entretiens entre le juge Lantier du Grez et Morlac… Peu à peu, les apparences s’effacent pour laisser apparaître les fêlures, les contradictions, les révoltes, l’histoire personnelle des deux protagonistes, tout cet étagement psychologique qui fait l’originalité et la particularité de chacun… Lantier du Grez, officier distant et de bonne éducation, modéré et sage, délicat et sensible portant lui aussi ses traumatismes essaie de comprendre  Morlac l’insurgé douloureux, se murant dans ses silences…

Mais ces deux hommes d’origine si différente ont en commun l’épreuve de la guerre… JC Rufin écrit :
« Ils avaient cela en commun, tous les deux, cette fatigue qui ôte toute force et toute envie de dire et de penser des choses qui ne soient pas vraies. Et en même temps, parmi ces pensées, celles qui portaient sur l’avenir, le bonheur, l’espoir étaient impossibles à formuler car aussitôt détruites par la réalité sordide de la guerre. Il ne restait que des phrases tristes, exprimées avec l’extrême dépouillement du désespoir ».


Lentement avec patience, dans ce livre « Le collier rouge » de Rufin,  le juge cherche à comprendre les contradictions d’un homme décoré de la Croix de guerre qui  insulte, défie l’ordre et la loi. Quel sens et quelles raisons peuvent expliquer cette provocation ? C’est le fil conducteur de l’histoire.
Car oui, la faute de Morlac est si grave, du moins en 1919, que celui-ci risque le bagne !

Tout doucement, il faut que les personnages du livre s’apprivoisent, se découvrent, apprennent à se connaître, comme il faut aussi le faire avec ce chien qui se tait chaque fois, que le juge approche son maître. La fidélité est au cœur de ce roman.
Guillaume, le chien -les hommes des tranchées, l’ont baptisé ainsi par dérision et référence au Kaiser- est un compagnon loyal et dévoué, engagé comme son maître dans une guerre qu’il subit et ne comprend pas. Guillaume a choisi Morlac et non l’inverse, il l’accompagne et combat à ses côtés. Pourtant Morlac porte à l’animal une sorte d’indifférence mêlée de rancune …

C’est curieux et surprenant cette relation teintée à la fois, d’insensibilité, de respect, d’amour et de fidélité.
Le juge Lantier s’étonne de cette cruelle injustice, il s’émeut du courage de cet animal, qui a la force de hurler son attachement, jour et nuit dans une chaleur épuisante …
Ses aboiements sont des messages à décrypter au même titre qu’il faut accéder à la personnalité complexe du prisonnier.
Et puis, Morlac l’insoumis est un écorché, fidèle au même titre que Guillaume… Il est revenu au pays pour Valentine, sa compagne, celle dont il a un fils, et pourtant au dernier moment dans un revirement que l’on ne comprend pas, il s’enfuit, refuse de la revoir.

Femme dans les champs pendant la guerre de 1914 - 1918
Extrait du documentaire ecpa
Cette femme recluse au fond de sa campagne est dure, courageuse à la tâche et instruite.. Elle est celle qui a façonné l’esprit de Morlac, cet homme qu’elle aime, lui faisant lire Proudhon Propotkine, Marx, lui insufflant  le goût de la révolte et de l’admiration de la Révolution russe…


Le juge, un homme de paix,  remonte le fil, de la pensée et des choix du caporal. Il perce à jour les désespoirs, les rébellions, les dissidences.

Je vous livre cet extrait :
Le juge « se leva et ouvrit la fenêtre. Le chien toujours au même endroit, s’était dressé sur ses pattes de derrière.
- Vous êtes très injuste avec ce pauvre animal, dit le juge pensivement. Vous lui en voulez pour sa fidélité. Vous dites que c’est une qualité de bête. Mais nous en sommes tous pourvus, et vous le premier… Vous portez cette qualité si haut, que vous n’avez jamais pardonné à Valentine d’en manquer. Vous êtes l’homme le plus fidèle que je connaisse. C’est pour elle que vous êtes revenu ici, n’est-ce pas ?
Morlac haussa les épaules.
- Je crois, poursuivit le juge, que la vraie différence avec les bêtes, ce n’est pas la fidélité. Le trait le plus proprement humain et qui leur fait complément défaut, c’est un autre sentiment, que vous avez de reste.
- Lequel ?
- L’orgueil !
Il avait touché juste et l’ancien combattant, perdait son assurance.
- Vous avez préféré la punir et vous punir en mettant en scène ce simulacre de rébellion, plutôt que de lui parler pour connaître la vérité. C’était un évènement sur mesure pour elle
- Tant mieux si elle a reçu le message.
- Malheureusement vous n’avez pas entendu sa réponse »


A la suite des pages, nous devinons que JC Rufin entretient le mystère, sur les silences du caporal Morlac. Notre questionnement notre désir de comprendre, sont des éléments qui s’inscrivent dans notre pensée, et c’est à la fin du livre que nous reconstituons le puzzle. Chaque personnage, chaque acte prend une résonnance, un éclairage, qui nous conduit dans une réflexion personnelle sur la révolte, la fidélité, l’héroïsme.
Qui est le héros du livre ? Qu’est-ce qui le définit?
C’est la lecture de l’évènement, faite avec le recul qui nomme le  héros.
On ne naît pas héros, on le devient par le regard des autres qui confèrent la distinction,  en fonction des actions réalisées.
Le héros est courageux, et porte en lui une part d’inconscience face au danger.
Il est fort, et ne s’enorgueillit pas de sa prouesse.
Il ignore la difficulté, et le danger.
Il est fidèle, il ne remet pas en question sa ligne de conduite. Sa loyauté est sans faille.
A l’énoncé de tous ces critères, ne pourrait-on pas penser que le vrai héros de l’histoire est Guillaume ?  Guillaume, chien au collier rouge, référence non formulée au cordon de la légion d’honneur…

Morlac quant à lui, représente notre humanité, il n’a pas la grandeur et la noblesse des héros tragiques. Il est une facette de nous-mêmes, et ses sentiments, ses réactions sont les nôtres, nous nous y reconnaissons dans sa complexité, sa violence, ses révoltes, ses souffrances, son questionnement. Aux aboiements incessants du chien, il oppose un silence douloureux, qui hurle au même titre que l’animal la douleur de ne pas être compris.


Dans ce livre, « Le collier rouge » de JC Ruffin, les projets de révolte de l’armée française au cours de cette Grande Guerre de 14/18 sont évoqués. Nous comprenons avec le recul et l’analyse que ce sont ces quelques pages, parlant de rébellion dans les armées,  qui forment le nœud du roman dans lequel s’imbriquent Valentine – Morlac – Guillaume et le juge.


Je vous invite à découvrir ce livre, émouvant sensible et porteur de réflexion. 
Vous le lirez dans sa trame, ensuite il résonnera en vous, portera votre méditation encore une fois sur les désordres, les cassures et les déchirures de la guerre. 




mercredi 19 février 2014

Petites scènes capitales de Sylvie Germain

Petites scènes capitales un livre de Sylvie Germain
Bonjour à tous..
Sans doute avez-vous déjà vu ce titre dans les bacs des librairies « Petites scènes capitales de Sylvie Germain» feuilleté le livre, pensé à l’acheter et ne l’avez pas fait…
Avant d’aborder le livre, qui est  Sylvie Germain ? Née en 1954, elle a fait des études de philosophie, elle écrit dès 1983. Depuis elle été distinguée par  le prix Fémina et en 2005, puis le Goncourt des Lycéens avec Magnus. En 2013 elle a été élue l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique

Le bandeau de l’éditeur entourant ce livre « Petites scènes capitales », est illustré d’une femme accrochée aux anneaux de son trapèze. Elle traverse l’espace avec grâce, légèreté, élégance, suspendue en un geste aérien, comme est l’écriture de ce roman. Ne serait-ce pas le reflet d’une écriture qui raconte les évènements d’une vie familiale, moments uniques que l’on découvre « capitaux », métaphore de la traversée de la vie...
Illustration du bandeau du livre

« Petites scènes capitales », oscille entre heures douloureuses, difficiles, joyeuses et burlesques, comme les vivent à peu près toutes les familles..
Dans ce cercle recomposé, Lili- Barbara, petite fille orpheline de mère, conduit le récit. Elle raconte comment avec ses quatre nouveaux frères et sœurs, elle, ils trouvent tous cahin-caha l’équilibre pour se construire ensemble et individuellement…
Je vous propose la lecture d’une tranche de vie, une rencontre avec Paul le fils aîné :

Pendant tout le dîner Paul se montre absent et touche à peine aux plats, ce manque d’appétit étonne sa mère. Elle se penche vers lui, lui touche l’épaule, il sursaute et la regarde d’un air surpris, ahuri presque. Ses jeunes sœurs s’esclaffent aussitôt : « Paul est amoureux ». Comme il ne proteste pas, les jumelles et Lili s’enhardissent : « C’est qui ? Elle est jolie ? C’est une fille de ton lycée ? Comment elle s’appelle ? ». Cette curiosité agace les parents, ils n’aiment pas l’indiscrétion. Mais Paul  ne  se dérobe pas : « Il ne s’agit pas d’une fille » Sa réponse laisse tout le monde coi. « Tu es amoureux d’un garçon ? » Il sourit : « Pas amoureux d’un garçon, bien plus que ça, et pas d’un garçon, d’un homme » Il n’a pas le temps d’achever sa phrase, sa mère se lève, d’un bond et ne retient pas sa main. Puis elle retombe sur sa chaise, stupéfaite autant par son geste que par la nouvelle » Paul reprend d’une voix calme : « C’est un homme, Il s’appelle Christ ». Lili, n’a pas été baptisée et s’interroge sur la façon dont Paul a bien pu rencontrer un homme mort de puis près de mille ans »…

Ce livre, « Petites scènes capitales » de Sylvie Germain raconte par anecdotes successives, la façon dont se construit une personnalité, les choix de vie qui se font à la lumière d’évènements vécus que l’on n’a pas maîtrisés, parfois subis, rarement choisis, et qui ont un impact sur le devenir de chacun.
Lili - Barbara, regarde la vie avec une sorte de recul observateur, sans doute lié au fait qu’elle soit discrète et surtout qu’elle ait commencé la vie par une blessure. Sa mère avant de mourir, d’une façon dont on ne saura jamais si s’agissait d’un suicide ou d’un accident, l’a laissée aux soins de son père quand elle avait 11 mois… Dès son enfance, elle connaît le déchirement, le manque de mère, la mort de sa grand-mère maternelle dernier témoin d’un pan de sa vie familiale.
De ce livre, émane une émotion poignante, où chacun essaie de vivre avec ses fractures, ses douleurs et ses forces. Tour à tour, Sylvie Germain ajuste son regard sur chacun de ses personnages, leur donnant la dimension acquise aux aspérités de la vie. Ses mots sont toujours bien choisis, empreints de sensibilité, de délicatesse, de rêverie, et mènent à la révélation de ce que nous sommes dans le secret de notre vérité. C’est une réflexion à porter sur soi-même, s’interroger, analyser le sens de sa vie, dérouler le film de son histoire.
Se dire, se demander, retrouver dans notre mémoire les moments de bascule, nos petites scènes capitales qui conduisent à faire des choix, remonter la pente de son histoire intime, et donner la réponse à la personne que nous sommes devenus. Le livre, moment de grâce, émeut, interpelle et conduit nos interrogations, notre questionnement intérieur.

Lili-Barbara comprend enfin pourquoi son père ne voulait pas l’appeler du prénom choisi par sa mère : 
Voici un échange entre Lili et son père… une explication sur son prénom Barbara… Une lecture tronquée, afin de vous en garder le plaisir de la découverte. C’est le père qui parle :

« Elle a été prise d’une lubie en découvrant un poème intitulé « Barbara » dans un recueil de Jacques Prévert…
« Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là »… Si au moins, elle avait lu Dante Pétrarque ou Ronsard.
Ce n’était quand même pas sur le choix de son prénom que sa mère était partie, Lili veut connaître la raison de ce départ.
        Ce n’est pas toi, qui l’a effrayée, c’est l’engagement impliqué par la maternité..
        Pourquoi as-tu jeté toutes les photos d’elle ?
        Mais ce n’est pas moi, c’est elle. Elle a déchiré toutes celles où elle figurait… Comme si, elle voulait radier son passé.
La bouche de Lili est de plomb, elle serre les dents, pour ne pas pleurer ou crier.
Peut-on à ce point désavouer sa propre vie, abjurer son passé, à ce point nier la réalité…»

Tout dans ce livre, nous touche la magie des mots traduits dans chaque scène : magnifiques descriptions  de la nature, moments heureux ou dramatiques, mais aussi du mystère des non-dits qui se dévoilent au fur et à mesure du déroulement de la trame de l’histoire.
On découvre avec quelle subtilité, des phrases que l’on croyait dites sous le coup d’une émotion, annonçaient une vérité que l’on  n’imaginait pas. Des mots qui prennent sens avec le recul, éclairent un passé caché, et tout à coup éclate au grand jour, apportant un éclairage libérateur, effaçant les ombres et les silences.
Ce livre aborde, aussi,  la douleur de la perte d’un proche. Il décrit les fractures irréparables du puzzle familial déstabilisé et détruit par le malheur. Une scène capitale qui forcément conduit à une remise en question fondamentale, à la résilience nécessaire pour continuer son chemin.
Chaque personnage est doté d’une force de représentation qui tisse la trame du récit…  Cette mère forte et fragile, cabossée par les fulgurances cruelles de la vie, ce père silencieux, sobre et sensible…
Ces enfants heureux, qui jouent de la vie, comme d’une comédie, - en découvrent la fragilité quand la mort fait irruption dans leur quotidien, bouleversant leur regard, et façonnant d’une courbe indélébile leur avenir…
Paul le fils ainé dont la découverte spirituelle conduit la vie…
Jeanne-Joy la sage, capable et coupable de se détruire par provocation, dans la réalité de ses chaos intérieurs.
Les jumelles qui se cherchent par delà leurs  arrachements…
Lili à l’exploration, et à la découverte de son équilibre …
Une famille comme tant d’autres marquée par la vie, avec toujours comme objectif le bonheur, la paix, la sérénité à trouver ou retrouver…
Sylvie Germain décrit chaque personnage minutieusement, avec amour autant pour les personnages que pour les éléments vivants, évoque avec émotion la dernière et solitaire relation du père avec Cosmos le chien, et ce dernier prend sa place dans cette fresque familiale.

La conclusion se trouve dans les phrases du roman de Sylvie Germain :

C’est vrai pense Lili Barbara, les parents discutaient beaucoup, mais entre eux, entre adultes, et peu avec leurs enfants. On n’entrait pas dans les coulisses des uns des autres, pas même dans celles de sa propre conscience, ou alors de loin en loin, et sans s’y attarder. Par peur du noir, de l’inconnu, des labyrinthes, des trappes ouvertes ici et là. Seul Paul s’est aventuré, résolument, mais il n’avait pas le choix, puisqu’il avait été saisi poussé, « par une torche de vent, une bouffée de lumière ».
Elle Lili, il lui a fallu, tant d’années pour apprendre à vivre en bonne intelligence avec ses lancinantes incertitudes »…

En dépit des commentaires et lectures d’extraits partagés avec vous, et portés à votre connaissance, l’histoire n’a pas été révélée…
Ainsi, pour votre prochaine lecture, pourrez-vous vous émouvoir de ces petites scènes capitales de Sylvie Germain paru chez Albin Michel.


A bientôt… 

mercredi 25 décembre 2013

Pietra Viva de Léonor de Récondo

Pietra Viva un livre de Léonor de Récondo

Nous voilà en décembre, Noël approche et pour cette fête familiale où l’on va dire à ceux qui nous sont chers notre affection, notre tendresse, notre amour,  il faut trouver une façon particulière et personnelle de le dire, avec les mots qui sont les nôtres, ou avec de petits présents qui poseront une pierre souvenir pour ce jour-là.
Des cadeaux qui diront avec la sensibilité qui définit chacun de nous,  l’attachement et tout ce que la pudeur ne veut, ne peut, ne sait pas toujours dire.

Je vous propose un livre à offrir, à faire découvrir… « Pietra Viva » un petit ouvrage chargé de poésie, de rêverie, un voyage à lire, à faire lire, au creux d’un canapé douillet, pour une évasion. Imaginer, et découvrir un  monde qui n’est plus celui d’aujourd’hui,  inventé et recréé, par le livre de Léonor de Récondo.
Cette jeune auteure, née en 1976, est aussi violoniste baroque, alors il n’est pas étonnant qu’elle maîtrise la musique et la vibration des mots…
 « Pietra viva » son quatrième livre, se trouve aux éditions de Sabine Wespieser.
Pietra Viva, la pierre qui vit, c’est l’histoire imaginée de Michel-Ange à un moment précis de sa vie, alors qu’il est à Carrare.

Etes-vous déjà allés à Carrare ? Le Carrare d’aujourd’hui est une petite ville pâle et brumeuse. Y suis-je allée un jour triste et bas ou est-ce la réalité et l’humidité de la montagne qui lui confère cet aspect ?
La bourgade toscane est encaissée dans les flancs de la montagne, et l’on aperçoit la montagne brisée, scintillant d’un blanc luisant. Non, il n’a pas neigé, c’est le marbre qui respire et luit de sa blancheur cristalline.

Nous sommes en 1505 et le sculpteur vient choisir, au cœur des Alpes Apuanes la pierre à extraire des veines de la montagne et réaliser le tombeau de Jules II.
Michelangelo vient d’arriver, il a voyagé bien léger une bible, son carnet de croquis, un recueil de poèmes de Pétrarque offert par Laurent de Médicis.

Le livre est à la fois intimiste et d’atmosphère. Intimiste, Léonor de Récondo arrive par la magie de ses mots à nous faire entrer dans la pensée et l’émotion de Michel Ange. Atmosphère aussi, nous sommes compagnons de Michel Ange, avec lui nous rencontrons les hommes les femmes de ce village de Carrare au 16ième siècle, voyons les lieux, entendons les bruits, participons aux chagrins et aux moments d’émotion.

Une évocation pour vivre la vie des hommes de la montagne, ceux qui sont durs à la tâche, rudes à la souffrance, courageux à l’ouvrage et extraient la pierre marmoréenne. Tout est puissance, force, danger et l’on entend, les cris des hommes, le souffle des bœufs, les coups sourds des marteaux et des masses, le grincement des scies qui s’acharnent pour prendre à la nature une part d’elle-même… En voici un extrait :
« Topolino lui fait de grands signes, Michelangelo presse le pas.
-          Regarde ce qui est tombé cette nuit !
Un énorme bloc gît au sol. Sur certains de se ses côtés on voit les traces brunes du bois qui, sous l’effet de l’eau versée pour les carriers, a gonflé et précipité sa chute.
Michelangelo s’approche. Le sculpteur caresse le marbre, son grain est brillant et vivant.
-          Il est magnifique, n’est-ce pas ?
-          Il est parfait, tout juste parfait » répond le sculpteur.
Des hommes attachés à des cordes se hissent le long de la paroi pour faire basculer les derniers éboulis. Pour ne pas être esclaves du destin, ils vont caresser de leurs ciseaux la nature capricieuse de la pierre. Ils ont chacun un petit mot pour elle, un surnom, une douceur pour l’apprivoiser. Le danger permet toutes les superstitions.
… Tous s’affairent, envahis par le même désir de rendre à la montagne ce qu’elle leur a donné. Elle ne peut pas être en de meilleures mains qu’entre celles du sculpteur. Un maître, un grand maître. Ils l’ont vu « laissez la veine vous guider, sinon vous la massacrez » leur disait-il ! Ils ont compris que ce n’était pas un amour simple de la pierre, de la montagne. Il en parlait comme de sa propre chair, et comme eux, son cœur en était fait. Il fait partie de leur grande famille »
Léonord de Récondo raconte l’histoire des tailleurs, des carriers, des marbriers, elle nous dit aussi les tourments, les peines, les douleurs, les joies dans ce village du 16ième siècle. Elle nous fait vivre avec des hommes et des femmes qui pleurent, chantent, festoient et dansent. Elle plonge au cœur de l’enfance avec le petit Michele, renvoie Michel- Ange à ses propres réminiscences, lui qui a perdu sa maman quand il était tout enfant.  Par la grâce de cet enfant qui sait l’émouvoir, il lèvera le voile sur ses chagrins et ses souvenirs. Ecoutez avec quelle délicatesse l’auteur nous y invite :
« De la petite main chaude naît un parfum. Un parfum d’abord discret et frais, subtil mélange de lavande et de roses volatiles. Puis la lavande s’estompe, et l’iris entre dans la ronde des senteurs, les emportant toutes dans son sillage… Ce parfum maintenant capiteux est celui de la femme dont Michelangelo a tout oublié.
Le parfum comme premier souvenir »

Ce livre raconte le cheminement de la pensée, la thérapie d’un blessé de la vie, la fragilité et la vérité de ce que chacun peut porter en soi, la résilience que tout homme doit accomplir pour trouver sa voie, être au plus fort de soi-même. La beauté des mots dans  la simplicité et la noblesse de l’écriture sont une voie pour découvrir ce bijou d’écriture. Le récit nous apprend à aimer, à découvrir un homme secret et sensible. Mais aurait-il pu en être autrement ?

Le livre, comme une chronique des jours se succèdent, raconte les liens tissés entre les hommes, les femmes, les enfants, les animaux.
Le soir Michelangelo rentre dans sa chambre parfois son cœur est lourd... Face à lui-même, il retrouve ses secrets, ses peines enfouies, ses amours défuntes… Il feuillette les pages des poèmes de Pétrarque, n’a pas le courage de lire la bible offerte par Andréa, sa mort le bouleverse encore trop…
Au gré des pages et des poèmes que Francesco Pétrarque a écrit pour Laure, Michelangelo a peut-être lu celui-là :

« Beni soit le jour,
Béni soit le pays, et la place où j’ai fait rencontre
De ces yeux [..] qu’ils m’ont ensorcelé.
Et béni soit le premier doux tourment
Que je sentis pour être captif d’Amour
Et bénis soient l’arc et le trait dont il me transperça
Et bénis soit la plaie que je porte en mon cœur »

Notre moment de partage prend fin, je vous conseille ce livre « Pietra Viva » de Léonor de Récondo aux éditions Sabine Wespieser.
Vous trouverez des mots simples et beaux,
Des mots d’amour et d’humanité, qui portent la vie, l’espérance, la confiance,
la Renaissance d’un rêve qu’on croyait perdu.

Au revoir à tous, à bientôt, et que les fêtes de la Nativité éclairent, apaisent, illuminent votre cœur !