Préambule

Au hasard des Arts…

Un blog pour tous, pour rêver, partager une découverte, un regard, donner envie de voir, revoir, savoir, et même chercher, s’interroger, s’insurger, s’étonner, s’émerveiller…
Franchement, ces arts, quel bazar !!!

Le hasard des Arts, n’est pas véritablement un hasard, si ce n’est qu’il sera dicté par l’aléatoire
du livre que j’aurai lu,
du film que j’aurai vu,
de l’expo que j’aurai découverte
de l’émotion que j’aurai ressentie pour un poème, une toile, une sculpture...

Et que sais-je encore ?
Nous allons découvrir et partager, tout cela ensemble.
Des évènements dictés par l’actualité, mais aussi par la découverte ou la redécouverte d’un artiste, d’une œuvre.


Je vous livrerai ainsi le fruit de mes réflexions, de mes engagements, et de mes combats …

mercredi 3 septembre 2014

Réparer les vivants de Maylis de Kérangal

C’est avec plaisir que je vous retrouve après ces mois d’été. Au cours de cette période, nous avons peut-être changé d’horizon, reçu des amis, partagé des moments de joies familiales… ou encore lu, écrit, travaillé, réfléchi...

Pour ouvrir cette nouvelle saison, je voudrais vous présenter le dernier livre de Maylis de Kérangal. Le roman a été publié aux éditions Verticales. L’auteure, une femme née en 1967 a déjà été distinguée par le prix Médicis et récemment par les Grand Prix RTL et France Culture-Télérama  pour ce roman, dont je vais vous entretenir : « Réparer les vivants »



Ce livre grave et pourtant porteur d’espérance ne s’oublie pas la dernière page tournée.
Une grande partie de cet écrit porte sur la description du désespoir familial causé par la mort accidentelle d’un jeune homme. Puis une seconde partie découlant de la première exprime la possibilité de« réparer les vivants » par le don et la réception d’organes de celui qui vient de mourir. C’est en quelque sorte une méditation sur la mort et la résurrection.


 « Réparer les vivants » de Maylis de Kérangal, Simon vient d’être déclaré mort cliniquement. Il n’y a rien plus rien à faire ni à espérer. Aujourd’hui la mort ne se limite pas à l’arrêt du cœur, il se signe aussi avec l’abolition des fonctions cérébrales, c’est le cas pour ce jeune homme.
Il faut joindre les parents, c’est la mère qui reçoit l’appel. Une demande, en termes sobres dit de venir vite, -vite, car le fils a eu un grave accident…

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka
www.la-pieta.org/
Qui a-t-il de plus terrible pour une mère que de recevoir un tel appel et de comprendre dans sa chair ce qu’il signifie?
C’est à la fois l’Angoisse et l'Urgence qui poussent cette femme à dépasser sa peur, car si la raison ne sait pas de manière certaine, le cœur et l’amour, eux, ont compris dans le laconisme des mots entendus que le malheur vient de frapper à la porte ! Il faut partir, courir, voler jusqu’à l’hôpital…
Et pour cette maman, l’urgence est de voir son enfant, le toucher, lui parler!
Pourquoi? Pour saisir la vie, la rattraper parce qu'une mère ne peut soumettre sa raison à une telle horreur.
Vouloir l’entourer et l'enfermer dans ses bras, s'engloutir dans l'amour porté dans un déni de réalité.
Agir en animal, le serrer le protéger, louve désespérée, lionne rugissante de douleur.
Refuser la vérité, s'acharner contre l'inéluctable, dans un combat inégal et déchirant,
ravagée par le malheur ... 
Etre face à la violente brutalité de la nouvelle. Garder son enfant, il a 20 ans, c'est encore un bébé !

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
Et puis, face aux parents réunis dans le déchirement et l’abattement, les soumettre à une nouvelle épreuve quand l’équipe médicale demande le prélèvement des organes. Comment accepter, concevoir, envisager qu'on spolie le corps de son enfant, qu'on le profane dans son entité ? Certes pour la vie ! Oui, mais pas pour celle de ce petit qui semble encore si vivant sous le respirateur artificiel ! 

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
La douleur anesthésie la réflexion, et les gestes d'humanité pour les autres sont hors du champ de conception. Non pas par égoïsme mais parce que la souffrance,  l’accablement coupent de la raison. Les parents de Simon mobilisent leurs forces pour résister au cataclysme de leur vie, à la dévastation de l’espérance, à leur anéantissement. 


Le style d’écriture de ce livre est haché, coupant, incisif, cru, dur, comme la réalité effroyable qu'il faut assumer.
Des mots qui étreignent, oppressent, enserrent. Une plongée en apnée dans le désespoir, la peur, la souffrance, l'amour arraché. Violence d'un événement qui s'inscrit banalement dans une feuille de journal et qui vrille en douleur palpitante dans le cœur et l'âme quand il s’abat dans une famille.

La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
L'écriture se place sur plusieurs registres. Elle décrit précisément, l’anéantissement des parents,  le respect du corps médical face au chagrin en même temps que la vision prospective de sauver d’autres vies par le prélèvement des organes sains, les choix efficaces à faire par l’hôpital. Les regards silencieux du personnel qui comprend ce qui va se négocier lorsqu'il voit arriver le réfèrent aux transplantations, quand rien n’est encore décidé ...
Ne rien dire pour épargner les affligés!
Tout cela est parfaitement retranscrit dans ce livre.
 
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome
Photo extraite du livre de Robert Hupka 
www.la-pieta.org/
Je vous lis un passage : les parents de Simon doivent donner leur réponse très rapidement pour le prélèvement d’organes, car le temps presse… Ils refusent ou ils acceptent, c’est un libre choix. Ils sortent de l’hôpital, vont marcher au bord de l’eau, pour prendre leur décision. Voici l’extrait :
« Marianne songe, c’est trop, on va crever. Ils arrivent en vue du fleuve, ils sont surpris, ont le souffle court, les pieds trempés mais avancent vers la berge. Marianne voudrait crier quand sa bouche n’émet aucun son, rien, le pur cauchemar- […] il y a ce bateau à coque sombre qui se présente au loin sur leur gauche, unique embarcation en amont, et en aval un bateau solitaire qui désigne à lui seul l’absence de tous les autres. […] le bourdonnement du vraquier se rapproche par la gauche, la couleur de la coque se précise, un rouge huileux, l’exacte couleur du sang séché, c’est un bateau chargé de grain, il descend vers la rivière, descend vers la mer, descend en tenant son chenal quand tout s’évase ici : les eaux et les consciences, tout conflue vers le large, vers l’informe et l’infini de la disparition… Le sillage bouillonne et s’apaise, le vraquier s’éloigne, et le fleuve reprend sa texture initiale »
Impression soleil levant - Monet - 1872
Musée Marmottan-Monet Paris

Pourquoi ai-je choisi la lecture d'un morceau de quotidien, extérieur à l'histoire ? Parce que quel que soit le désespoir des parents de Simon, celui-ci ne représente rien dans le cours de la vie des autres. Ce cataclysme personnel n’est rien face aux préoccupations du monde, c’est un évènement privé. La vie continue de se vivre pour les autres, calme, imperturbable ou pressée ...
Dans le regard de ces parents, qui voient un bateau s’éloigner,  il y a la vision d’autres vies qui existent, ils n’en sont pas acteurs, ils sont dans un ailleurs et se perçoivent déjà en décalage d’un quotidien qu’ils ne regarderont plus jamais de la même façon. C'est la cruelle réalité, comprendre que la vie ne s'est arrêtée que pour eux.
Ils voient sans regarder et analysent avec le recul de leur profonde affliction. Leur chagrin est intime, il n'existe pas au regard de la vie des autres, de l’immensité du monde.
Ils ont la conscience de l'instant présent, Simon vit en eux, il est juste absent, il ne manque pas encore... La prise de conscience de l'événement s'inscrira dans leur cœur, leur compréhension,  par l'épreuve et l'expérience du manque, de l'envie, du besoin viscéral de le revoir, le toucher, entendre sa voix, l'aimer en un mot !
Ils ne peuvent que -pleurer -prier -implorer…
Il faut mourir à l’instant ou continuer à vivre!
Et comme le vraquier, ils s’avanceront « vers l’infini de la disparition », et le cours de leur vie reprendra, seulement en apparence, « sa texture initiale ».

Dans ce livre de Maylis de Kérangal le résumé de la quatrième de couverture dit : « Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque »…
Pourtant, les 200 premières pages du roman,  nous emmènent au cœur des chagrins, des pensées, des émotions ressenties par toute une famille endeuillée. Nous traversons avec elle, l’épreuve du désespoir.
Seules les 80 dernières pages racontent -prélèvement et -transplantation, et tous les commentaires que l’on trouve dans les médias, s’en font largement l’écho, c’est pourquoi j’ai choisi le premier versant du livre.
L’auteure ajuste en termes sobres et pudiques, des mots de mort et de résurrection. Ils transcrivent ou l’expérience personnelle ou la sensible observation.
Des paroles pour apaiser le chagrin et l’estomper devant l’espérance d’une vie renouvelée...

Au revoir, à bientôt.

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