Pour ouvrir cette nouvelle saison, je voudrais vous
présenter le dernier livre de Maylis de Kérangal. Le roman a été publié aux
éditions Verticales. L’auteure, une femme née en 1967 a déjà été distinguée par
le prix Médicis et récemment par les Grand Prix RTL et France
Culture-Télérama pour ce roman, dont je
vais vous entretenir : « Réparer les vivants »
Ce livre grave et pourtant porteur d’espérance ne s’oublie
pas la dernière page tournée.
Une grande partie de cet écrit porte sur la description du
désespoir familial causé par la mort accidentelle d’un jeune homme. Puis une
seconde partie découlant de la première exprime la possibilité de« réparer
les vivants » par le don et la réception d’organes de celui qui vient de
mourir. C’est en quelque sorte une méditation sur la mort et la résurrection.
« Réparer les
vivants » de Maylis de Kérangal, Simon vient d’être déclaré mort
cliniquement. Il n’y a rien plus rien à faire ni à espérer. Aujourd’hui la mort
ne se limite pas à l’arrêt du cœur, il se signe aussi avec l’abolition des
fonctions cérébrales, c’est le cas pour ce jeune homme.
Il faut joindre les parents, c’est la mère qui reçoit
l’appel. Une demande, en termes sobres dit de venir vite, -vite, car le fils a
eu un grave accident…
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome Photo extraite du livre de Robert Hupka www.la-pieta.org/ |
Qui a-t-il de plus terrible pour une mère que de recevoir un
tel appel et de comprendre dans sa chair ce qu’il signifie?
C’est à la fois l’Angoisse et l'Urgence qui poussent
cette femme à dépasser sa peur, car si la raison ne sait pas de manière
certaine, le cœur et l’amour, eux, ont compris dans le laconisme des mots
entendus que le malheur vient de frapper à la porte ! Il faut partir,
courir, voler jusqu’à l’hôpital…
Et pour cette maman, l’urgence est de voir son enfant, le toucher, lui parler!
Pourquoi? Pour saisir la vie, la rattraper parce qu'une mère ne peut soumettre sa raison à une telle horreur.
Vouloir l’entourer et l'enfermer dans ses bras, s'engloutir dans l'amour porté dans un déni de réalité.
Agir en animal, le serrer le protéger, louve désespérée, lionne rugissante de douleur.
Refuser la vérité, s'acharner contre l'inéluctable, dans un combat inégal et déchirant,
ravagée par le malheur ...
Et pour cette maman, l’urgence est de voir son enfant, le toucher, lui parler!
Pourquoi? Pour saisir la vie, la rattraper parce qu'une mère ne peut soumettre sa raison à une telle horreur.
Vouloir l’entourer et l'enfermer dans ses bras, s'engloutir dans l'amour porté dans un déni de réalité.
Agir en animal, le serrer le protéger, louve désespérée, lionne rugissante de douleur.
Refuser la vérité, s'acharner contre l'inéluctable, dans un combat inégal et déchirant,
ravagée par le malheur ...
Etre face à la violente brutalité de la nouvelle. Garder son
enfant, il a 20 ans, c'est encore un bébé !
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome Photo extraite du livre de Robert Hupka www.la-pieta.org/ |
Et puis, face aux parents réunis dans le déchirement et l’abattement, les
soumettre à une nouvelle épreuve quand l’équipe médicale demande le prélèvement
des organes. Comment accepter, concevoir, envisager qu'on spolie le corps de
son enfant, qu'on le profane dans son entité ? Certes pour la vie !
Oui, mais pas pour celle de ce petit qui semble encore si vivant sous le
respirateur artificiel !
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome Photo extraite du livre de Robert Hupka www.la-pieta.org/ |
La douleur anesthésie la réflexion, et les gestes d'humanité pour les autres
sont hors du champ de conception. Non pas par égoïsme mais parce que la
souffrance, l’accablement coupent de la
raison. Les parents de Simon mobilisent leurs forces pour résister au
cataclysme de leur vie, à la dévastation de l’espérance, à leur anéantissement.
Le style d’écriture de ce livre est haché, coupant, incisif, cru, dur, comme la réalité effroyable qu'il faut assumer.
Des mots qui étreignent, oppressent, enserrent. Une plongée en apnée dans le désespoir, la peur, la souffrance, l'amour arraché. Violence d'un événement qui s'inscrit banalement dans une feuille de journal et qui vrille en douleur palpitante dans le cœur et l'âme quand il s’abat dans une famille.
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome Photo extraite du livre de Robert Hupka www.la-pieta.org/ |
L'écriture se place sur plusieurs registres. Elle décrit précisément, l’anéantissement
des parents, le respect du corps médical
face au chagrin en même temps que la vision prospective de sauver d’autres vies
par le prélèvement des organes sains, les choix efficaces à faire par
l’hôpital. Les regards silencieux du personnel qui comprend ce qui va se
négocier lorsqu'il voit arriver le réfèrent aux transplantations, quand rien n’est encore décidé ...
Ne rien dire pour épargner les affligés!
Tout cela est parfaitement retranscrit dans ce livre.
La Pieta - Michel-Ange - 1498/99 - Saint-Pierre de Rome Photo extraite du livre de Robert Hupka www.la-pieta.org/ |
Je vous lis un passage : les parents de Simon doivent
donner leur réponse très rapidement pour le prélèvement d’organes, car le temps
presse… Ils refusent ou ils acceptent, c’est un libre choix. Ils sortent de
l’hôpital, vont marcher au bord de l’eau, pour prendre leur décision. Voici
l’extrait :
« Marianne songe, c’est trop,
on va crever. Ils arrivent en vue du fleuve, ils sont surpris, ont le souffle
court, les pieds trempés mais avancent vers la berge. Marianne voudrait crier
quand sa bouche n’émet aucun son, rien, le pur cauchemar- […] il y a ce bateau
à coque sombre qui se présente au loin sur leur gauche, unique embarcation en
amont, et en aval un bateau solitaire qui désigne à lui seul l’absence de tous
les autres. […] le bourdonnement du vraquier se rapproche par la gauche, la
couleur de la coque se précise, un rouge huileux, l’exacte couleur du sang
séché, c’est un bateau chargé de grain, il descend vers la rivière, descend
vers la mer, descend en tenant son chenal quand tout s’évase ici : les
eaux et les consciences, tout conflue vers le large, vers l’informe et l’infini
de la disparition… Le sillage bouillonne et s’apaise, le vraquier s’éloigne, et
le fleuve reprend sa texture initiale »
Pourquoi ai-je choisi la lecture d'un morceau de quotidien, extérieur à l'histoire ? Parce que quel que soit le désespoir des parents de Simon, celui-ci ne représente rien dans le cours de la vie des autres. Ce cataclysme personnel n’est rien face aux préoccupations du monde, c’est un évènement privé. La vie continue de se vivre pour les autres, calme, imperturbable ou pressée ...
Dans le regard de ces parents, qui voient un bateau s’éloigner, il y a la vision d’autres vies qui existent, ils n’en sont pas acteurs, ils sont dans un ailleurs et se perçoivent déjà en décalage d’un quotidien qu’ils ne regarderont plus jamais de la même façon. C'est la cruelle réalité, comprendre que la vie ne s'est arrêtée que pour eux.
Ils voient sans regarder et analysent avec le recul de leur profonde affliction. Leur chagrin est intime, il n'existe pas au regard de la vie des autres, de l’immensité du monde.
Ils ont la conscience de l'instant présent, Simon vit en eux, il est juste absent, il ne manque pas encore... La prise de conscience de l'événement s'inscrira dans leur cœur, leur compréhension, par l'épreuve et l'expérience du manque, de l'envie, du besoin viscéral de le revoir, le toucher, entendre sa voix, l'aimer en un mot !
Ils ne peuvent que -pleurer -prier -implorer…
Il faut mourir à l’instant ou continuer à vivre!
Il faut mourir à l’instant ou continuer à vivre!
Et comme le vraquier, ils s’avanceront « vers l’infini de la disparition », et le
cours de leur vie reprendra, seulement en apparence, « sa
texture initiale ».
Dans ce livre de Maylis de Kérangal le résumé de la
quatrième de couverture dit : « Réparer les vivants est le roman
d’une transplantation cardiaque »…
Pourtant, les 200 premières pages du roman, nous emmènent au cœur des chagrins, des
pensées, des émotions ressenties par toute une famille endeuillée. Nous
traversons avec elle, l’épreuve du désespoir.
Seules les 80 dernières pages racontent -prélèvement et -transplantation, et tous les commentaires que l’on trouve dans les médias, s’en
font largement l’écho, c’est pourquoi j’ai choisi le premier versant du livre.
L’auteure ajuste en termes sobres et pudiques, des mots de
mort et de résurrection. Ils transcrivent ou l’expérience personnelle ou la
sensible observation.
Des paroles pour apaiser le chagrin et l’estomper devant
l’espérance d’une vie renouvelée...
Au revoir, à bientôt.
Au revoir, à bientôt.
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