Le collier rouge de Jean Christophe RUFIN
Je voudrais vous parler du dernier livre de Jean-Christophe Rufin.
Vous connaissez cet auteur, médecin, ambassadeur de France
au Sénégal et en Gambie, il a écrit entre autres « L’abyssin »
« Rouge-Brésil » tous deux Goncourt en1997 et 2001, puis
« Jacques Cœur », et ce dernier roman paru chez Gallimard « Le
collier rouge »
Première de couverture "Le collier rouge" Le bandeau du livre montre un chien décoré de la Croix de Guerre avec deux étoiles (voir le site: Les chiens de France de la Grande Guerre 1914 - 1918) |
Si vous avez lu le résumé ou des articles concernant le
livre, vous savez qu’il s’agit d’un court écrit racontant une histoire qui se
situe pendant l’été 1919, où un héros de guerre est incarcéré dans une caserne déserte pour
une faute dont on ne nous dit rien. Là arrive un officier-aristocrate pour
enquêter, comprendre l’affaire et juger la faute. Il y a aussi une femme,
Valentine, qui attend et se tait, et un
chien qui hurle à la mort tout le long des pages du livre…
C’est un roman d’atmosphère qui traduit les chaleurs de
l’été en Berry, c’est aussi une réflexion sur les hommes dans une après-guerre
difficile et toujours … un chien qui aboie et manifeste en leitmotiv son
courage, sa fidélité, dans la volonté d’être entendu, de transmettre un
message.
Non, il ne s’agit pas d’un roman mièvre sur la relation d’un
homme et d’un chien. Ses aboiements résonnent comme des questions, des
interrogations, des plongées au fond de nous-mêmes. Il nous faut avec le juge
de l’histoire, dénouer les mystères, les secrets d’un homme qui s’enfonce dans
sa provocation. Comprendre les raisons qui ont amené le caporal Morlac, au fond
de cette petite prison de province.
Le livre retrace les entretiens entre le juge Lantier du
Grez et Morlac… Peu à peu, les apparences s’effacent pour laisser apparaître
les fêlures, les contradictions, les révoltes, l’histoire personnelle des deux
protagonistes, tout cet étagement psychologique qui fait l’originalité et la
particularité de chacun… Lantier du Grez, officier distant et de bonne
éducation, modéré et sage, délicat et sensible portant lui aussi ses
traumatismes essaie de comprendre Morlac
l’insurgé douloureux, se murant dans ses silences…
Mais ces deux hommes d’origine si différente ont en commun
l’épreuve de la guerre… JC Rufin écrit :
« Ils avaient cela en commun,
tous les deux, cette fatigue qui ôte toute force et toute envie de dire et de
penser des choses qui ne soient pas vraies. Et en même temps, parmi ces
pensées, celles qui portaient sur l’avenir, le bonheur, l’espoir étaient
impossibles à formuler car aussitôt détruites par la réalité sordide de la
guerre. Il ne restait que des phrases tristes, exprimées avec l’extrême
dépouillement du désespoir ».
Lentement avec patience, dans ce livre « Le collier
rouge » de Rufin, le juge cherche à
comprendre les contradictions d’un homme décoré de la Croix de guerre qui insulte, défie l’ordre et la loi. Quel sens
et quelles raisons peuvent expliquer cette provocation ? C’est le fil
conducteur de l’histoire.
Car oui, la faute de Morlac est si grave, du moins en 1919,
que celui-ci risque le bagne !
Tout doucement, il faut que les personnages du livre
s’apprivoisent, se découvrent, apprennent à se connaître, comme il faut aussi
le faire avec ce chien qui se tait chaque fois, que le juge approche son
maître. La fidélité est au cœur de ce roman.
Guillaume, le chien -les hommes des tranchées, l’ont baptisé
ainsi par dérision et référence au Kaiser- est un compagnon loyal et dévoué,
engagé comme son maître dans une guerre qu’il subit et ne comprend pas.
Guillaume a choisi Morlac et non l’inverse, il l’accompagne et combat à ses
côtés. Pourtant Morlac porte à l’animal une sorte d’indifférence mêlée de
rancune …
C’est curieux et surprenant cette relation teintée à la
fois, d’insensibilité, de respect, d’amour et de fidélité.
Le juge Lantier s’étonne de cette cruelle injustice, il
s’émeut du courage de cet animal, qui a la force de hurler son attachement,
jour et nuit dans une chaleur épuisante …
Ses aboiements sont des messages à décrypter au même titre
qu’il faut accéder à la personnalité complexe du prisonnier.
Et puis, Morlac l’insoumis est un écorché, fidèle au même
titre que Guillaume… Il est revenu au pays pour Valentine, sa compagne, celle
dont il a un fils, et pourtant au dernier moment dans un revirement que l’on ne
comprend pas, il s’enfuit, refuse de la revoir.
Femme dans les champs pendant la guerre de 1914 - 1918 Extrait du documentaire ecpa |
Cette femme recluse au fond de
sa campagne est dure, courageuse à la tâche et instruite.. Elle est celle qui a
façonné l’esprit de Morlac, cet homme qu’elle aime, lui faisant lire Proudhon
Propotkine, Marx, lui insufflant le goût
de la révolte et de l’admiration de la Révolution russe…
Le juge, un homme de paix,
remonte le fil, de la pensée et des choix du caporal. Il perce à jour
les désespoirs, les rébellions, les dissidences.
Je vous livre cet extrait :
Le juge « se leva et ouvrit la
fenêtre. Le chien toujours au même endroit, s’était dressé sur ses pattes de
derrière.
- Vous êtes très injuste avec ce
pauvre animal, dit le juge pensivement. Vous lui en voulez pour sa fidélité.
Vous dites que c’est une qualité de bête. Mais nous en sommes tous pourvus, et
vous le premier… Vous portez cette qualité si haut, que vous n’avez jamais
pardonné à Valentine d’en manquer. Vous êtes l’homme le plus fidèle que je
connaisse. C’est pour elle que vous êtes revenu ici, n’est-ce pas ?
Morlac haussa les épaules.
- Je crois, poursuivit le
juge, que la vraie différence avec les bêtes, ce n’est
pas la fidélité. Le trait le plus proprement humain et qui leur fait complément
défaut, c’est un autre sentiment, que vous avez de reste.
- Lequel ?
- L’orgueil !
Il avait touché juste et l’ancien
combattant, perdait son assurance.
- Vous avez préféré la punir et
vous punir en mettant en scène ce simulacre de rébellion, plutôt que de lui
parler pour connaître la vérité. C’était un évènement sur mesure pour elle
- Tant mieux si elle a reçu le
message.
- Malheureusement vous n’avez pas
entendu sa réponse »
A la suite des pages, nous devinons que JC Rufin
entretient le mystère, sur les silences du caporal Morlac. Notre questionnement
notre désir de comprendre, sont des éléments qui s’inscrivent dans notre
pensée, et c’est à la fin du livre que nous reconstituons le puzzle. Chaque
personnage, chaque acte prend une résonnance, un éclairage, qui nous conduit
dans une réflexion personnelle sur la révolte, la fidélité, l’héroïsme.
Qui est le héros du livre ? Qu’est-ce qui le définit?
C’est la lecture de l’évènement, faite avec le recul qui
nomme le héros.
On ne naît pas héros, on le devient par le regard des autres
qui confèrent la distinction, en
fonction des actions réalisées.
Le héros est courageux, et porte en lui une part
d’inconscience face au danger.
Il est fort, et ne s’enorgueillit pas de sa prouesse.
Il ignore la difficulté, et le danger.
Il est fidèle, il ne remet pas en question sa ligne de
conduite. Sa loyauté est sans faille.
A l’énoncé de tous ces critères, ne pourrait-on pas penser
que le vrai héros de l’histoire est Guillaume ? Guillaume, chien au collier rouge, référence
non formulée au cordon de la légion d’honneur…
Morlac quant à lui, représente notre humanité, il n’a pas la
grandeur et la noblesse des héros tragiques. Il est une facette de nous-mêmes,
et ses sentiments, ses réactions sont les nôtres, nous nous y reconnaissons
dans sa complexité, sa violence, ses révoltes, ses souffrances, son
questionnement. Aux aboiements incessants du chien, il oppose un silence
douloureux, qui hurle au même titre que l’animal la douleur de ne pas être
compris.
Dans ce livre, « Le collier rouge » de JC Ruffin,
les projets de révolte de l’armée française au cours de cette Grande Guerre de
14/18 sont évoqués. Nous comprenons avec le recul et l’analyse que ce sont ces
quelques pages, parlant de rébellion dans les armées, qui forment le nœud du roman dans lequel
s’imbriquent Valentine – Morlac – Guillaume et le juge.
Je vous invite à découvrir ce livre,
émouvant sensible et porteur de réflexion.
Vous le lirez dans sa trame, ensuite
il résonnera en vous, portera votre méditation encore une fois sur les
désordres, les cassures et les déchirures de la guerre.
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