Aujourd’hui, je vous propose de lire, relire, un roman
d’Emile Zola « Au bonheur des Dames »…
Gil Blas un quotidien de la presse française fondé par Auguste Dumont - Dans son supplément hebdomadaire, il publie en feuilletons des romans de Zola, de Maupassant ... |
Ce livre, paru en 1883, est une mine d’informations sur
l’époque du second Empire, une grande fresque sociale où s’y mêlent dans un
foisonnement passionnant -l’histoire et
la naissance des grands magasins et du commerce moderne, -la mort des petites boutiques
avec le récit des drames et des désespoirs inhérents à cet état de fait -l’évolution
de Paris sous l’égide du Baron Haussmann, --la condition ouvrière, -une
histoire d’amour entre Denise Baudu petite provinciale orpheline et Octave
Mouret grand patron et propriétaire du magasin « Au bonheur des
Dames », -une galerie de portraits
brossée de fine psychologie.
Ecrit en 6 mois, Emile Zola a bâti son histoire, sur un énorme
travail préparatoire, pour donner réalité aux thèmes qui jalonnent son écrit.
Il est allé par exemple en observation dans le magasin « Les galeries du
Louvre » ouvert depuis l’exposition universelle de 1852, puis un mois
complet au Bon Marché créé la même année par Alexandre Boucicaut. Installés sur les grands boulevards parisiens, ils disposent déjà de comptoirs multiples, régulièrement ré-assortis.Ces
magasins remplacent les échoppes anciennes, font disparaître les marchandes de
frivolités du 18ième siècle.
Mille traits pour écrire ce roman passionnant, attachant,
instructif, où une bluette amoureuse, les heurs et malheurs du commerce servent
de fil conducteur à l’ouvrage. La variété des sujets compose le tableau coloré
d’une époque qui ne connaît pas encore le cyber commerce et qui pourtant signe
son entrée dans la modernité.
Dès la première page du livre, le lecteur est séduit par la
richesse du vocabulaire en même temps que la forme ampoulée datant d’un siècle terminé
et dont le charme se distille tout au long de la lecture. Voici le premier
regard que porte Denise sur l’étalage de la porte centrale du « Bonheur
des Dames ».
« A côté, encadrant le seuil,
pendaient des lanières de fourrure, des bandes étroites pour garnitures de robe, la cendre fine des
dos de petit-gris, la neige pure des ventres de cygne, les poils de lapin de la
fausse hermine et de la fausse martre. Puis en bas, dans des casiers,
débordaient des articles de bonneterie vendus pour rien, gants et fichus de
laine tricotés, capelines, gilets, tout un étalage d’hiver, aux couleurs
bariolées, chinées, rayées, avec des taches saignantes de rouge. Denise vit une
tartanelle à quarante cinq centimes, des bandes de vison d’Amérique à un franc,
et des mitaines à cinq sous. C’était un déballage géant de foire, le magasin
semblait crever et jeter son trop-plein à la rue. »
« Au bonheur des
Dames » de Zola, s’adresse à tous les âges, la trame du récit est si riche
que chacun y trouve un intérêt …Le roman reste d’une actualité surprenante. Il
est extraordinaire d’y découvrir les techniques de vente qui gardent encore toute leur actualité. Le personnage d’Octave Mouret, sans doute
inspiré par les vies d'Alexandre Boucicaut ou Alfred Chauchard, esquisse
l’histoire d’un pionnier du grand commerce.
La méthode d’Octave Mouret se résume en cette phrase de Zola
« Vendre bon marché pour vendre beaucoup, vendre beaucoup pour vendre bon
marché ». Il s’agit là d’une révolution culturelle et commerciale. Zola
sous l’action d’Octave Mouret nous décrit toutes ces méthodes en matière de
vente déjà en cette fin de 19ième siècle :
-
Proposer des étals à l’extérieur du magasin, pour
appâter et tenter les clientes
-
Diversifier le
choix, plus de rayons, plus de variétés dans la couleur, les matières, les
formes, les textures, être sans cesse innovant.
-
Mettre en place des éléments de concurrence par rapport
aux autres magasins.
-
Vendre à perte un article attractif en sachant que l’on
en vendra d’autres sur lequel on rétablira le bénéfice.
-
Pousser à la consommation, plaire à la clientèle et la
capturer, s’adapter aux besoins et aux envies
-
Réaliser des coups commerciaux et faire s’envoler les
ventes,.
-
S’assurer l’engagement des employés responsables on
dirait aujourd’hui « des cadres », instaurer la participation et l'intéressement,
distribuer des primes, des bonifications.
-
Agrandir sans cesse le magasin
-
Remettre les gains dans l’affaire avec la prise de
risque que cela suppose. Octave Mouret veut selon l’expression de Zola
« le renouvellement continu et rapide du capital »
L’infrastructure du magasin est parfaitement pensée avec la
réception des ballots de marchandises dans les sous-sols, un service
d’expédition, de livraison, une caisse centrale pour la facturation. Tout est
pensé de la publicité dans les catalogues, jusqu’aux ballons rouges marqués au
nom de l’enseigne et que les enfants promènent fièrement dans la ville.
Octave Mouret règne en maître sur son magasin qui est en
même temps une machine à exploiter ses employés, et dont le récit manifeste de la difficile condition ouvrière.
-
Il n’y a aucune protection sociale
-
A la morte saison, une partie des employés est
licenciée sans aucune indemnité.
L’ambiance entre les employés génère jalousies, ambitions,
haines sournoises, malfaisances. Le petit employé est là pour servir, il se
tait, s’exténue, s’use ou « passe à la caisse » comme le décide
L’« Inspecteur Jouve » surveillant partial et tout puissant du
magasin.
Le principe de réussite d’Octave Mouret repose sur la
témérité, il ose faire ce qui n’a jamais été fait. Il a de la chance, du flair
et de l’audace, il est bien entouré et conseillé, il sait choisir ses appuis. Voici
une analyse d’Octave Mouret livrée à un de ses amis:
« Vois-tu c’est de vouloir et
d’agir, c’est de créer enfin. Tu as une idée, tu l’enfonces à coups de marteau
dans la tête des gens, tu la vois grandir et triompher…
Vraiment, il fallait être mal bâti,
avoir le cerveau et les membres attaqués pour se refuser à la besogne, en un
temps de si large travail, lorsque le siècle entier se jetait à l’avenir. Et il
raillait les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades de nos
sciences commençantes qui prenaient des airs pleureurs de poètes ou des mines
pincées de septiques, au milieu de l’immense chantier contemporain. »
Au chapitre VIII du roman, Zola fait œuvre d’historien, il raconte
le percement de l’avenue de l’Opéra, la disparition des rues étroites et
insalubres. Napoléon III vit aux Tuileries, il est donc nécessaire de lui
offrir une vue depuis sa résidence à la hauteur de son impérialité !
L’Opéra Garnier a besoin d’une perspective pour être mis en valeur. Les
meilleurs sculpteurs ornent la façade:
la Danse de Carpeaux, le drame de Falguière pour ne citer qu’eux…On abat, on
détruit, on arase, on démolit pour ouvrir une avenue magnifique, permettre à
l’Empereur de se déplacer dans de larges avenues sans craindre un nouvel
attentat…
Au bonheur des Dames - L'escalier à double révolution |
Simultanément, grâce aux nouvelles techniques, aux nouveaux
alliages se met en place l’architecture métallique, extraordinaire époque des
pavillons Baltard, des Halles centrales, de la construction de la gare du Nord,
des magasins du Printemps, de la Samaritaine et le Bon Marché avec pour maître
d’œuvre Gustave Eiffel… Ainsi Zola décrivant l’intérieur du magasin d’Octave
Mouret, le Bonheur des Dames, livre un témoignage historique et architectural
qui se réfère sans nul doute au magasin de Monsieur Boucicaut…. Voici l’extrait
« C’était comme une nef de
gare, entourée par les rampes des deux étages, coupée d’escaliers suspendus,
traversée de pont volants. Les escaliers de fer, à double révolution,
développaient des courbes hardies, multipliaient les paliers ; et tout ce
fer mettait là, sous la lumière blanche des vitrages, une architecture légère,
une dentelle compliquée où passait le jour, la réalisation moderne d’un palais
du rêve, d’une Babel entassant des étages, ouvrant des échappées sur d’autres
étages. Le fer régnait partout, le jeune architecte avait eu l’honnêteté et le
courage de ne pas le déguiser sous une couche de badigeon imitant la pierre ou
le bois… »
Dans la collection des Rougon-Macquart, le livre « Au
bonheur des Dames » de Zola est une ode à l’évolution des activités
modernes. Il dépeint l’essor des grands
magasins, le milieu de la petite bourgeoisie, avec des portraits aiguisés des
différents types de femmes de la prude et douce Denise à la « névrosée du
chiffon » (expression utilisée dans l’introduction du livre,-collection le livre de Poche)…
Il porte une attention
réaliste à la dure condition des vendeurs en y décrivant en parallèle la
réussite du grand patron. Un patron qui établit une religion nouvelle, celle du
grand commerce au sein du « temple de la mode », de ses multiples
tentations en spéculant sur l’image d’une femme frivole, dépensière et toute
puissante. Le dénouement « fleur bleue » est une morale optimiste qui
diffère des autres romans de la fresque des Rougon-Macquart. Denise rachète à
elle seule par sa bonté, sa droiture et son honnêteté les erreurs et les fautes
des autres…
Napoléon III est au pouvoir, il prône un retour aux bonnes
mœurs, le livre en est le vibrant témoignage…
A côté des ouvrages qui sortent actuellement en librairie,
je vous conseille d’ajouter dans vos lectures d'été ce « poche » de moins de 5 €
en mesure de ravir tous les âges !
Bonne lecture, au revoir, à bientôt…
Lectures et sites consultés
- Au bonheur des dames - Collection livre de poche
- Le réalisme épique d'Emile Zola
www.lyc-lurcat-perpignan.ac-montpellier.fr/intra/fra/.../realepiq.htm
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