En mai 2014, Winter Sleep a remporté la Palme d'or du
67ème Festival de Cannes, présidé par
Jane Campion. Le réalisateur Nuri Bilge Ceylan a déjà été distingué
plusieurs fois pour ses longs métrages ou ses mises en scène.
Le film est actuellement en salle, l’histoire se passe en
Turquie, dans la région de Cappadoce, au début de l’hiver. Aydin riche
propriétaire terrien et acteur de
théâtre retraité, gère un hôtel nommé « Otello » avec Nihal son
épouse et Necla sa sœur…
Vous avez sans doute entendu parler de ce film qui dure 3h16
minutes, lu tout et son contraire en matière de critique, car bien évidemment
tout avis est subjectif.
A mon tour, de vous parler de ce huis clos familial, il
contraste avec la vision panoramique de l’espace et de l’immensité du décor. Cette
nature aux frontières infinies fait l’antithèse avec les personnages englués dans
un réseau d’incompréhensions, de rancunes accumulées, d’incommunicabilité.
C’est sans doute, le dessein du réalisateur, il voulait
obtenir de ses spectateurs, un questionnement, une observation, une réflexion
intérieure… Le but est atteint !
Ce film est somptueux… 3 heures pour montrer la beauté des
paysages, l’analyse des rancœurs, la prise de conscience de ses manquements,
les conflits sourds qui étouffent… et pourtant encore, la force des sentiments,
la fragilité des êtres, la nature sublime et glacée qui dit que rien ne peut
être perdu quand tant de beauté existe. La musique une sonate de Schubert
égrène ses notes doucement, tristement, délicatement, dans un infini de grâce et de sensibilité…
Winter Sleep, le premier acteur est la nature… La caméra
balaie l’espace grandiose et magnifique. C’est le début de l’hiver. Les
cheminées de fées si caractéristiques de cette région d’Anatolie se dressent
dans un espace minéral et désertique. Les bourrasques du vent couchent la steppe
qui se plie et se tord sous les souffles transperçants. Les routes sont sales
et boueuses des pluies tombées, la neige s’annonce….
Aydin à la porte de son bureau |
Dans ce décor grandiose, Aydin l’acteur principal, somnole
dans la voiture conduite par son homme de confiance. Et tout à coup, une pierre
lancée par un gamin vient rompre cette monotonie. Ce caillou lancé est la
métaphore même du séisme qui va secouer le couple d’Aydin et Nihal…
Que se passe-t-il ? Cet homme, vieillissant est marié à
une jeune femme. Ils se sont aimés on le devine, ils ne se comprennent plus,
c’est une certitude. Ils sont retournés l’un et l’autre dans la prison de leur
silence, côte à côte, dos à dos, jamais l’un contre l’autre …
Ils peuvent le soir, en compagnie de la sœur d’Aydin, parler à table, aborder des thèmes qui
demandent une connaissance, une capacité d’analyse. Ces personnages sont cultivés,
curieux, intelligents. Ils peuvent parler, s’interroger sur le sens de la
justice, de la conscience, de la morale, du bien et du mal, de la violence,
formuler des hypothèses, et des solutions. Une discussion intellectuelle de
qualité, mais vidée de ses émotions comme pour choisir d’ignorer les échecs de
sa propre vie et de s’investir personnellement. Nous, spectateurs nous suivons
le discours, il nous interpelle, nous
sommes avec eux autour de la table, acteurs avec eux. La preuve en est que le
discours suscite notre réflexion personnelle !
Alors ainsi, on peut parler sans communiquer ? C’est bien
ce qui arrive à ce couple qui s’abîme !
La critique a écrit que Aydin est méprisant, suffisant,
cynique… N’était-il pas simplement tranquille, installé dans ses certitudes, avec
un peu d’orgueil et de fragilité, comme tout un chacun ? Mais rien qui ne
justifie le mépris silencieux, l’indifférence insensible, le mutisme douloureux
et insondable de Nihal, son épouse.
Aydin trouve refuge dans l’écriture, lui l’ancien acteur de
théâtre, l’homme riche et aisé publie quelques pensées qu’il veut profondes et
humanistes… Sa sœur Necla viendra cruellement lui ôter ses illusions, lui démontrant
la vanité de son travail… Elle lui dira calmement :
« Ah,
si seulement j’avais ta capacité d’aveuglement…tu creuses toujours là où
d’autres ont déjà trouvé ».
Aydin (Haluk Bilginer) et sa sœur (Akbag Demet) |
Dans ce film Winter Sleep, le réalisateur a choisi de
construire l’avancée de l’évolution des personnages, par des dialogues: Nihal et son
mari, Nihal et sa belle-sœur Necla, Aydin et sa sœur Necla…
Des conversations à deux qui renvoient à l’autre ses petitesses
et ses faiblesses. Un huis clos qui met à jour l’orgueil, les failles de
l’autre sans pour autant voir les siennes.
La critique d’une manière générale fait un long procès au
personnage d’Aydin… pourquoi ? Il semble pourtant envisageable de
percevoir Aydin, comme le plus équilibré du trio, celui qui a sur la vie le
regard le plus posé, le recul dû à la soixantaine assagie…
Mais que lui reproche Nihal ? Elle le condamne parce
qu’il lui apporte le confort ? Elle le réprouve parce que l’aisance qu’il
lui a donnée est devenue une prison dorée dans laquelle elle se sent
enfermée ? Elle le blâme parce qu’encore il s’intéresse à ses centres
d’intérêt à elle ? Nihal est une enfant gâtée capricieuse choyée. Elle
s’autorise les larmes d’ennui de jeune femme rêveuse, fragile, idéaliste et
riche de la fortune de son mari… Elle dédaigne cet homme si généreux pour elle…
Voici ce qu’elle lui dit…
« Je reconnais que tu es un
homme cultivé, honnête, juste, intègre. Mais tu utilises ces qualités pour
étouffer les autres, les rabaisser, les humilier, les écraser. Ta grande morale
te sert à haïr le monde entier. Qui trouve grâce à tes yeux ?... Si, pour
une fois, tu pouvais défendre une position qui te soit inconfortable ou
éprouver un sentiment qui ne te flatte pas... Mais ce n’est pas
possible. »
Nihal interprétée par Melisa Sözen
« Winter sleep », c’est l’hiver, il fait froid, Aydin
regarde le paysage blanchi par la neige. Les flocons tombent serrés et aigus,
ils blessent et gèlent le paysage. La nature se replie sur elle. Au loin, les
habitations troglodytes découpent la ligne d’horizon, et les lumières qui
dansent aux fenêtres réchauffent l’atmosphère et donnent vie à ces cœurs glacés.
Aydin, doit partir, il faut mettre de la distance, de la
réflexion avec toute cette difficulté à vivre et à porter…
Encore une longue discussion avec un ami de toujours, une
beuverie d’hommes, la mise à jour de la dureté de la vie, de ses
incompréhensions, de son injustice…. Finalement, Aydin décide de ne pas partir,
son avenir est dans sa maison, son hôtel, et peut-être que cette rupture ou
cette crise sera sa résilience et lui permettra enfin d’écrire son essai sur
« le théâtre turc »..
C'est la trame générale du film.
C'est la trame générale du film.
Le décor du film " Winter Sleep" |
Mais je ne vous ai rien dit :
-
de la capture du cheval, exercice déchirant pour
l’animal, moment où l’on s’interroge sur le caprice d’Aydin en même temps que de
sa cruelle inconscience
-
de la pauvreté et de la misère des locataires d’Aydin,
paysans du village
-
des illusions de Nihal qui s’imagine que l’argent peut
acheter la fierté d’hommes rudes
-
des phrases cruelles de Necla et Nihal dites pour briser
les certitudes d’un homme droit, qui certes porte ses contradictions
-
des humiliations, des injustices et des douleurs
d’êtres écorchés douloureux et incompris
-
du décor de l’hôtel, bureau, salon, salle à manger des
couleurs, des lumières, des images où règne une atmosphère feutrée dans une
harmonie de tons chauds, …
-
La caméra filme en jouant des reflets dorés à la
manière d’un Rubens d’aujourd’hui.
Ce film est une leçon et une réflexion sur les vanités
humaines, il apporte une vision sublime
et panthéiste de la nature qui insère la condition humaine dans sa
vulnérabilité. C’est une approche
mystique, des lieux, des hommes, des animaux, dans une palette qui déclinent
les couleurs de la vie.
Au
revoir, à bientôt !
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