Sur les routes de l’Aisne, dans le triangle Reims, Soissons
et Laon, se trouve le terrible Chemin des Dames… Pourtant au-delà de ce lieu de
mémoire, il y a une découverte magique à faire, une oasis de paix et de
lumière, c’est l’abbaye de Vauclair… L’empreinte de ce lieu permet de reprendre
pied, de souffler intérieurement après avoir visité la Caverne du Dragon,
compris, imaginé la rage, la haine, la souffrance des hommes, presque entendu
le bruit du canon, les hurlements de peur des soldats et des chevaux….
Je vous invite à imaginer cette abbaye de Vauclair, à la
faire revivre par le don de votre inspiration, celui de la rêverie et de la
poésie…
Nous sommes en 1134 et Bernard de Fontaine ou de Clairvaux,
bâtit une abbaye cistercienne au creux d’un vallon caché dans la forêt de
Bouconville, là où coule une rivièrette appelée l’Ailette… C’est peut-être ainsi qu’Arthur Rimbaud l’a
décrite :
« C'est un trou de verdure où chante une
rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. »
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. »
Les vestiges d’aujourd’hui enchantent encore l’imaginaire.
En déambulant silencieusement, les traces laissées par le temps, font revivre
un monde disparu et qui pourtant, recomposent l’espace …
Il ne reste rien, hormis quelques pierres blanches et
grises, des murs déchiquetés, des piliers brisés, quelques arcades cintrées sur
lesquels pousse une mousse épaisse.
Il faut imaginer une église en croix latine rythmée de trois
travées, un chevet plat et sobre, un chœur étroit pour accueillir des matines
jusqu’aux complies, les moines de l’Ordre, …Le porche du narthex, à la voûte
arrondie, encadré de fenêtres géminées en plein cintre conduit les frères
convers à l’intérieur du lieu.
Issu de l’Ordre de Saint Benoît, celui de Saint Bernard, dans
son idéal de dépouillement ne s’autorise pas au débordement décoratif. Les
vitraux incolores, sans images faits de simples motifs d’entrelacs ou de fleurs
dispensent la lumière. Les chapiteaux qui reçoivent la poussée des voûtes
d’arêtes sont dépouillés. Chapiteaux simplement sculptés de feuilles d’eau,
pour rappeler sans doute et pourquoi pas, Cîteaux : le cistel autre nom du
roseau…
Un art de rigueur, pour un retour au désert, à la réflexion
et puisque l’homme est un roseau pensant, nourrir et éclairer sa pensée par la
méditation, la prière, l’offrande, rendre présent l’Invisible.
La promenade laisse encore deviner les traces de la vie des
frères convers, car l’abbaye est une petite ville. Il faut des hommes de bonne
volonté pour veiller au bien-être de tous, et la nourriture spirituelle ne
délivre pas des contingences du quotidien..
Là-bas, voyez un pigeonnier, inventez une hôstellerie, un réfectoire,
un potager, des bâtisses pour les outils. Toute une vie paysanne œuvre et
chacun occupe sa place dans le rythme des jours et des saisons.
L’abbaye de Vauclair possède des terres à blé, à vignes, un
pressoir, un four pour fabriquer tuiles et poteries, …
Le chardon de Marie |
Arrêtons-nous, au jardin des simples… A l’abri des grands arbres poussent dans de petits carrés formant un damier, le cerfeuil, la menthe, la sauge, l’absinthe, la camomille, le pavot, le chardon de Marie. On utilise avec art, le rhizome, la feuille, le bulbe, le bourgeon, la tige, le pétale ou la graine pour soulager les maux et les douleurs… Le chardon de Marie, aux multiples vertus thérapeutiques, est tacheté de blanc. Pourquoi ? Une jolie légende : Alors que Marie allaitait l’Enfant Jésus, elle l’a caché sous la plante épineuse à l’arrivée des soldats d’Hérode. Quelques gouttes de lait sont tombées de son sein sur les feuilles, les marquant à jamais de sa présence…
Un jardin de simples |
Et pourquoi, encore au milieu du damier, un carré nu avec une simple pierre de pays ? Son rôle est d’emmagasiner la chaleur du jour pour la redistribuer la nuit, protégeant les plantes fragiles du froid nocturne.
Plus loin le verger entretenu avec soin, laisse pousser
nèfles, noisettes, pommes, poires, et raisin.
Que reste-t-il de la salle du chapitre, du cloître, de la
fontaine, du scriptorium ?
Des ruines, des souvenirs, une présence …
Des ruines, des souvenirs, une présence …
« Dans ce petit trou de verdure où chante une rivière » on peut encore imaginer les moines copistes, debout face à leur lutrin, copiant inlassablement les Ecritures pour diffuser la Parole, le savoir, la réflexion… Parfois, ils vont dégourdir leurs doigts endoloris et durcis par le froid au feu du chauffoir et retournent inlassablement à la tache, pour la mission dont ils sont chargés. Illustrer, copier, recopier, le psautier, le bréviaire, l’évangéliaire, les livres des petites, des belles, des riches Heures, les enluminant de décors fleuronnés. En quelques traits ils rendent l’expressivité et l’élégance d’un art dans un raffinement sobre de couleurs et de lignes souples.
Et puis, il faut répondre à l’appel de la cloche, se rendre
dans la salle capitulaire appelée encore salle du chapitre… Cet espace est le
centre de la vie des moines, il possède un rôle d’enseignement, de décision, et
de rappel à la discipline monastique. Les moines assis face à face sur de durs
bancs de bois, le long des murs de la pièce, écoutent l’abbé debout sur
l’estrade.
Juste de l’autre côté de cette salle, une sortie mène au cloître…
Ainsi à quelques pas, du Chemin des Dames, il est possible de découvrir, le souvenir de cette abbaye. La paix de l’endroit a effacé les drames, les larmes et les désespoirs. Et pourtant nous ne pouvons oublier les derniers vers du Dormeur du Val de Rimbaud, qui semblent avoir été écrits pour ce lieu :
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Décombres de l'abbaye de Vauclair en Juillet 1920. |
Le message de Saint-Bernard, apporte la paix et l’Espérance… Vous l’associerez au centenaire de cette guerre fratricide de 1914/1918.
Qui a voulu que les deux sites soient imbriqués l’un dans
l’autre ?
Vauclair, offensée par la guerre de Cent ans, vendue à la
Révolution de 1789, pilonnée dans les bombardements de 1917, puis oubliée.
Un jésuite a redonné vie à ce lieu de prière dans les années 1970…
Un jésuite a redonné vie à ce lieu de prière dans les années 1970…
Avec courage, il a sorti la construction des ronces, et des
débris pour lui redonner son âme, guidé et conduit par Celui qui n’a jamais quitté
les lieux.
Aujourd’hui des familles viennent s’y promener, les solitaires y méditer, les enfants y jouer, les croyants et les religieux y prier, chacun marquant l’endroit de son interprétation, de sa personnalité et de son émotion.
Charles Péguy a écrit
« De l’âme de la veille on peut faire l’âme du jour.
Mais celui qui n’a point de veille, comment lui ferait-on un
lendemain ? »
Pour écrire ce texte, j’ai consulté des articles sur Internet,
lu le livret « L’Ordre Cistercien » de Michel Niaussat aux Editions
Ouest France.
A tous, je souhaite de belles fêtes de Pâques.
Que chacun vive dans son cœur et sa foi, une Espérance
renouvelée.
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