Préambule

Au hasard des Arts…

Un blog pour tous, pour rêver, partager une découverte, un regard, donner envie de voir, revoir, savoir, et même chercher, s’interroger, s’insurger, s’étonner, s’émerveiller…
Franchement, ces arts, quel bazar !!!

Le hasard des Arts, n’est pas véritablement un hasard, si ce n’est qu’il sera dicté par l’aléatoire
du livre que j’aurai lu,
du film que j’aurai vu,
de l’expo que j’aurai découverte
de l’émotion que j’aurai ressentie pour un poème, une toile, une sculpture...

Et que sais-je encore ?
Nous allons découvrir et partager, tout cela ensemble.
Des évènements dictés par l’actualité, mais aussi par la découverte ou la redécouverte d’un artiste, d’une œuvre.


Je vous livrerai ainsi le fruit de mes réflexions, de mes engagements, et de mes combats …

mercredi 25 décembre 2013

Syngué Sabour, la pierre de patience - Atiq Rahimi



Syngué Sabour, la pierre de patience
Un livre prix Goncourt 2008,  un film 2012, d’Atiq Rahimi

Atiq Rahimi est né à Kaboul (Afghanistan), et possède la double nationalité française et afghane. Il définit ainsi son engagement religieux: " Je suis bouddhiste parce que j'ai conscience de ma faiblesse, je suis chrétien parce que j'avoue ma faiblesse, je suis juif parce que je me moque de ma faiblesse, je suis musulman parce que je condamne ma faiblesse, je suis athée si Dieu est tout puissant."



Syngué sabour c'est l'histoire d’une femme, de mille femmes dans un pays en guerre, l’Afghanistan sans doute !
Dans les faubourgs de Kaboul, s’étagent des masures au flanc de la montagne. Dans l’une d’entre elles, une femme veille son mari, il a reçu une balle dans la nuque. Elle est là, à son chevet, le baignant, le soignant, lui parlant… attendant qu’il se réveille, qu’il revienne à la v pour la protéger de cette guerre infâme qui la laisse sans armes, sans protection ni ressources.
Le soin ultime apporté à cet  homme révèle la misère médicale… En guise de perfusion, un flacon d’eau sucrée-salée distille lentement dans la bouche de ce mourant comateux, un dernier souffle de vie.
Tant de choses à dire, de la misère, de la violence et de la saleté des lieux…



Les rues sont dévastées, défoncées, les murs des maisons sont éventrés, crevés par les bombes, les balles. Il n’y a plus de pavés, des flaques d’eau sale maculent ce qui reste de chaussée et de chemin. Des chiens et des chats efflanqués fouillent les ruines, sans doute, à la recherche d’une pelure à manger. Les gens courent ou se cachent, au milieu du bruit des déflagrations, des tirs et des rafales de mitraillettes, et des détonations de canon.

Une jeune femme, dont on ne sait pas le prénom, jouée par la très belle Golshifteh Farahani, essuie, inlassablement, d’un linge humide le visage de son mari blessé.
Pourquoi le réalisateur a-t-il choisi de ne pas lui donner de prénom?  
Sans doute pour ne pas la personnaliser, et montrer que son histoire est celle de toutes les femmes qui dans un pays en guerre, doivent se défendre, se battre pour survivre et se protéger, elle et leurs enfants…

Mais la charge de cette femme est dure, l’argent manque, et Elle qui n’avait pas droit à la parole, est face aux contraintes d’un simple quotidien.
Golshifeth Farahani - Hassina Burgan
                                           
Elle cherche et retrouve sa tante, avec qui, elle a échangé tant de secrets. Cette dernière l’accueille dans sa maison, mettant ainsi ses enfants à l’abri. C’est une maison close, mais un refuge opportun et bienvenu, et qu’importe le lieu à notre regard d’européen.
Délivrée du souci de ses enfants, elle court, enveloppée dans sa burqa, traverse la ville d’un bout à l’autre, soigne cet homme, son mari intransportable, qui lui ne l’a jamais regardée…
Les moments de halte, sont les heures, où elle retrouve sa tante… Elles se parlent, s’ouvrent dans la tendresse et leurs complicités de femmes. Oasis de ressourcement face à la dureté de cette guerre haineuse et fratricide qui oppose musulmans et intégristes de la même religion…

C'est l’atmosphère de ce film, et tout aussi bien celle du livre qui traduit le dénuement, la peur, la misère, la solitude et parfois comme pour briser la tension, la maison de la tante, moment de sécurité au milieu de la violence…
Elle dit à sa tante, son angoisse, son attente et celle-ci lui parle de la pierre de patience… Une pierre à qui l’on parle, pour se délivrer de ses peurs, de ses angoisses, de ses rêves. La pierre se charge des confidences, se gonfle des mots avoués, jusqu'à ce qu’elle éclate… en affranchissant celui qui a livré ses mystères.
Voici l'extrait du livre " Tu sais, cette pierre que tu poses devant toi... devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes souffrances, toutes tes douleurs, toutes tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le cœur et que tu n'oses pas révéler aux autres..
Et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate"...
L'écriture du livre est parfois crue. Est-ce pour exprimer la dureté des évènements, nous interpeller, nous amener à une prise de conscience d'un monde que nous ne connaissons pas, nous rappeler les douleurs de cette femme, de toutes ces femmes à l'identique destin?

 Elle, sa pierre de patience, c’est son inerte mari… Elle lui dit, tout ce qu’elle ne lui a jamais dit, mais si profondément ressenti. Cette première nuit de mariage, où il s’est emparé d’elle sans un mot, sans prévenance ni respect. Elle dit encore, la peur de ne pas avoir d’enfants, la crainte de la belle famille, l’angoisse de voir arriver une deuxième épouse, et n’être plus rien... Elle dit tout…
Lui,  homme mourant, est la pierre qui entend, écoute, reçoit dans l’exhalaison de son souffle régulier.
Et puis, il y a la guerre, les  hommes qui entrent dans la maison pour devenir snipper, ou voler, ou violer. Elle pour échapper, à l’outrage suprême, fait croire qu’elle est « femme qui vend son corps »…et là, on ne veut pas d’elle, on ne veut pas de sa saleté…
A la salissure, elle choisit le mépris qui la protège de ces phallocrates rétrogrades.

Le jeune combattant: Massi Mrowat
Et parmi ses hommes, il y en a, un qui la regarde.
Et tous deux, nouent une relation. Il revient. Elle l’accueille, lui apprend, les gestes qui feront de lui un homme respectueux, un amant peut-être?
Et dans ces gestes qu’Il apprend, on accède à la douleur de ces femmes, rendues à leur rôle de femelle, prises pour servir et être objet du bon vouloir de ce qui croit se nommer un homme.
Un monde cruel, où les femmes ne sont rien, n’ont aucun droit, Elle s’éveille et frémit au contact de ce garçon timide et respectueux.

Un jour, il ôte sa chemise,et Elle découvre son ventre son dos, à Lui...  blessé ! torturé ! avili !
Elle interroge, s’émeut, s’inquiète.
Elle n’est plus femme, elle est la mère qui s’insurge des offenses infligées à ce beau corps de jeune homme presque encore un enfant.  Elle veut savoir.
Il avoue, il dit, il raconte les humiliations, les outrages...
Alors une vague de douceur maternelle inonde le cœur et les gestes de cette femme. Elle caresse, apaise, effleure doucement, remplaçant chaque douleur par une douceur, effaçant la blessure par un baiser. Elle cajole le corps meurtri et son âme se révolte, son cœur pleure la cruauté des hommes, face à ceux qui ne savent se défendre. Elle pose ses mains sur le ventre, sur les balafres du dos, pansements et baumes d’une humanité retrouvée…
Silence, la montée de la colère, sentiment de l’injustice, haine du plus fort.

G. Farahani et Hamidreza Javdan 


Les jours passent, Elle continue à vaquer aux soins à donner à son mari, continuant d’en faire « l’objet -pierre de patience », lui, qui ne lui a jamais parlé, jamais demandé le pourquoi d’une cicatrice au coin de l’œil en 10 ans de mariage.




Et elle dit, le dernier secret, celui qui blesse et réveille l'orgueil du mâle machiste et tout puissant.
Elle murmure,  avoue, confesse, et dans un dernier sursaut, la pierre de patience éclate...

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