Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst, « l’Ange du bizarre »
Exposition Musée d’Orsay (5 mars au 9 juin 2013)
Quelle belle exposition !
Les conservateurs, organisateurs, commentateurs peuvent être
fiers de leurs travaux, textes et choix jusqu’à celui de l’audio-guide qui
complète les panneaux d’affichage placés à l’entrée de chaque salle.
La visite est bien conduite grâce à tous ces éléments, et la
découverte progressive explique clairement la notion de « Romantisme
Noir ».
(Une seule observation sur la taille des lettres des
panneaux d’affichage qui auraient pu être plus gros)…
Tout au long des salles, on découvre les productions
majeures de ce courant qui s’étire sur plus d’un siècle, peintures, poésies,
sculptures, textes littéraires, extraits de film. Tous les arts assemblés pour
converger vers la représentation d’une période, d’un courant d’idées, qui
expriment les peurs, les angoisses, les superstitions liées à la culture de
cette époque.
L’entrée dans la salle d’exposition, donne le ton avec cette
célèbre phrase de Murnau, dans le film Nosferatu (1922) « Et quand il
eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ».
L’extrait de film, nous plonge dans une ambiance d’angoisse,
d’inquiétude sourde, de crainte.
Cette première salle est une mise en exergue de la naissance
du Romantisme noir. Elle y exprime, les peurs, les terreurs liées au satanisme
et finalement encore marquées par la pression de l’interdit religieux.
Nous sommes à contre-courant des nativités, et des peintures christiques accompagnées de leurs Saints. On peut y voir, un rejet ou au moins une distance face à la pression religieuse, car ici, on ose représenter « le Pandémonium » (John Martin), la « Folie de Kate » (Füssli), l’anthropophagie avec Goya, le vampirisme « Dante et Virgile aux enfers » (Bouguereau).
Le suicide d’« Ophélie » d’Auguste Préault sculptant
avec tant de délicatesse, le désespoir de celle qui n’épousera pas Hamlet
(Shakespeare) et «flotte comme un grand lys » quand les « saules
frissonnants pleurent » et que les « nénuphars froissés
soupirent » (Rimbaud)
Toutes expressions qui quelques siècles plus tôt vous
auraient privé de liberté, ou à la Renaissance justifié de votre excommunication
et au Moyen-âge envoyé sur le bûcher.
Le suicide d'Ophélie - 1876 - Auguste Préault - Musée Orsay (Paris) |
Un Romantisme noir,
libérateur de la pensée qui avoue ses fantasmes les plus sombres. Freud
n’est pas loin, il naitra en 1856, et participera lui aussi à sa manière à la
vie et l’analyse de ce courant.
« Les Caprices
de Goya », le « Radeau de la Méduse » de Géricault, des encres
de Victor Hugo, illustrent la mise en place progressive de l’installation du
droit à la pensée individuelle et libre. Il révèle le combat douloureux et
libératoire d’une époque révolutionnaire abolissant les codes précédents.
Voilà un franchissement, pont entre cette première période
du romantisme noir et le Symbolisme si bien représenté par Gustave Moreau
« l’Apparition », Baudelaire, Behrens « le Sphinx » (1879),
tout comme on le comprend à l’écoute de Bizet, Berlioz, Verdi…
Dans toutes ces créations, c’est la représentation de la femme
éternelle, et ses interprétations multiples : fragile, femelle, sorcière,
tentatrice, pécheresse, débauchée, objet…
Allons, laissez-moi vous dire, que ce sont les hommes qui
représentent ainsi les femmes, véhiculant ainsi leurs propres
perversités !
Mais aurais-je oublié de vous parler de cette superbe toile
de Füssli « Cauchemar » ?
Femme assoupie - 1899 - Bonnard - Musée d'Orsay -(Paris) |
Non ! Je voudrais l’associer à celle de Pierre Bonnard
« Femme assoupie sur un lit » Ici, le même thème est retranscrit… sur
chaque couche, une beauté endormie, ou semblant l’être, nous rend voyeurs de la nudité et de la
sensualité dévoilées. On accède à l’intrusion violente et cachée de la féminité
dans la féminité.
Il n’y a qu’un pas pour justifier les photos de Jeandel, mettant
en scène et matérialisant l’univers sadomasochiste du Marquis de Sade. Les
sièges de Luigi Frullini, « Chaise à décor fantastique » auraient pu
tout aussi bien figurer dans le film « Emmanuelle » de Just Jaeckin
en 1974 !
Et puisque nous en sommes, aux concordances, je voudrais
encore relier les sculptures magnifiques de Jean-Jacques Feuchère
« Satan » (1833) de Behrens le
« Sphinx » ( 1879) à la peinture de Swabe « La mort et le
fossoyeur »1900… monstres ou femmes ailés qui vous entourent, vous
ensorcellent dans un baiser que l’on devine mortel, vertigineuses beautés
létales.
J’ai été très sensible aux paysages des peintres allemands,
Lessing et son « Cloître sous la neige » exprimant une glaciale
réclusion solitaire, Catel « Moines à la chartreuse de San Giacomo »
oppositions de lumières : glaciale et de feu, de personnages : moines
ou errants fantomatiques, l’ensemble nous laissant dans une expectative
angoissée… Blechen « Route de campagne en hiver au clair de lune »
magnifique représentation d’une nuit lumineuse, polaire où l’on entend la glace
craquer, les branches des arbres sinistrement casser sous le gel, quand rien ne
bouge, dans un silence étouffant comme le marbre de la tombe…
Route de campagne - 1829 - Blechen - Musée de Lübeck |
Un ensemble oppressant, silencieux, macabre et pourtant
poétique, illustrant parfaitement ce que l’on appelle «le style Romantique »
dans l’imagerie populaire.
Des extraits de film, émaillent, illustrent cette promenade
artistique. Une époque qui met en scène par le jeu des acteurs, les angoisses, les désespoirs, la violence,
la candeur manipulée…. Frankenstein, Dracula, les trois Lumières, Rébecca … témoignages
d’un art débutant, courts extraits qui permettent aussi au spectateur de
« souffler » pour s’imprégner mieux encore de cette complexe et
sombre période.
Hélas, et pour clore ce panorama, je n’ai pas été touchée
par l’expression du « Romantisme noir » dans le Surréalisme. « Demi
tasse géante volante avec annexe » de Dali, « Le colloque
sentimental » de Magritte, les « sans-titre(s) » de Brassaï ne
m’ont pas éclairée sur l’angoisse existentielle des hommes de cette époque.
D’ailleurs, on observait que les nombreux visiteurs,
passaient rapidement pour accéder à la sortie de la visite.
Les méandres de Paul Klee ne m’ont pas fait comprendre « Sans
titre » ou « Sorcières dans la forêt » même si j’en ai apprécié
les lignes ou les couleurs. Le message ne m’est pas apparu.
L’univers sombre de Max Ernst « l’Espérance »
(1926) qui aurait pu s’appeler -
Désespérance- sa noire « Forêt » ou «Ils sont restés trop
longtemps dans la forêt »(1927) dit l’angoisse d’une époque rongée par la
guerre, les difficultés économiques, la dureté de la vie, les conflits de ce
début de XXème siècle…
Oui, mais… je ne me suis pas sentie impliquée par le mode
d’expression employé, ni affectivement ni intellectuellement par les toiles
présentées.
Enfin, pour compléter totalement cette thématique, peut-être
aurait-il fallu envisager une salle supplémentaire pour écouter quelques
extraits musicaux… Pleurer d’émotion au chant de Marguerite dans le Faust de
Berlioz, ou ressentir la profonde douleur du chœur des Exilés dans le Macbeth
de Verdi… Toute une atmosphère musicale qui aurait couronné ce superbe parcours,
en illustrant des personnages que l’on retrouvait dans les salles de
l’exposition.
Je ne vous ai pas parlé de Munch, lui qui dit si bien ses
folles angoisses, Ranson, Böcklin et tant d’autres que j’ai aimés….
Rien ne vous éclairera plus que votre propre visite dans la
vision de votre subjectivité et sensibilité…
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