Amour de Haneke
Les écrits existent parfois, pour essayer de formuler les émotions les plus intimes, souvent plus ressenties qu’exprimées …Dire des émotions, des impressions, n’y a-t-il rien de plus difficile à verbaliser ?
Amour, entre J.L Trintignant et E. Riva, parle de la
vieillesse et de la maladie… Le tout dans un huis-clos étouffant éprouvant et
oppressant.
Lui, et elle, sont des gens de la bourgeoisie aisée, vivent
dans un bel appartement en plein Paris. Pourtant, l’appartement en lui-même,
est aussi à l’image de ses
propriétaires, il révèle l’usure du temps…
L’entourage des fenêtres de la cuisine, qui aurait besoin
d’être repeint, car il s’écaille et n’est plus très net. La tapisserie de la
chambre tachée par endroits d’auréoles plus sombres, le fauteuil usé du salon.
Des pièces qui vivent mais que l’on ne restaure plus, sans doute parce que l’on
est trop vieux et que ce serait trop fatigant, même de le faire faire !
Le salon par sa décoration dit chez qui nous sommes… Un
piano immense, car elle a été professeur de piano, des livres, des C.D, de beaux tapis, un parquet de chêne, des
tableaux au mur, jusque dans la cuisine ! Tout vous dit, le niveau de
culture, de finesse d’ouverture et de curiosité d’esprit… Et puis cette salle à
manger, qui ne sert plus, qui ne vit plus parce qu’on n’y reçoit plus… L’ordre - trop -
impeccable de cette pièce dit : la solitude, le silence, la fin des
réceptions, la fin d’un art de vivre, la fin des dîners entre amis quand on
était encore jeunes.
L’appartement, comme les gens qui l’habitent, se
meurt !
Non, je ne vous dirai pas tout, mais les choses, les objets,
les meubles témoignent de la fin…
Tous les deux, sont de bonne éducation, ils s’expriment dans
un langage de haute qualité, ont à l’égard l’un de l’autre, de la
considération, du respect. Ils se sont aimés et s’aiment encore, leur amour est
installé dans le partage de leur vie, adéquation entre communication et
délicatesse pour l’autre. Ils expriment l’un pour l’autre, la tendresse, la
considération dans un échange d’attentions, de regards qu’ils se portent en
permanence, compagnons intimes d’une traversée de vie.
Et, le malheur frappe à la porte, comme il le fait à toutes
les portes des maisons, et encore plus certainement lorsqu’on l’on est devenus
vieux.
Elle, Anne, a une « absence » qui se transforme en
hémiplégie.
On la voit revenir à la maison et pour la première fois en
fauteuil roulant… Il faut l’aider, pour tout ! Lui, Georges est un peu
gauche, et ne sait pas encore comment s’y prendre. Elle le lui explique… et ils
se retrouvent dans les bras l’un de l’autre, unis, serrés, soudés et pourtant …
si douloureusement ! Ce n’est plus la fête de l’Amour, non, c’est la
trahison d’un corps, le dernier corps à corps misérable et désespéré pour aider
l’autre à se coucher, à manger, à couper la viande… Moment trivial et honteux
de la sortie des toilettes, remonter une culotte qui n’est plus de dentelles…
Fin de la séduction, fin de la beauté pour subir et faire
subir à celui qu’on a aimé sa terrible déchéance.
Et pourtant, ils se parlent encore, et vont au-delà de ces
moments douloureux, déprimants, misérables, humiliants pour l’un comme pour
l’autre.
Est-ce cela l’Amour, savoir aller au-delà des douleurs et de
la déchéance pour accepter et porter la décrépitude de l’autre, dans une sobre
et silencieuse dignité ? Oui, c’est, aussi, cela l’Amour, quand il est vécu jusqu’au bout…
Jusqu’au bout… de la souffrance et de la déchéance, du
mépris, du dégoût et du rejet de soi…
Anne refait une nouvelle attaque et perd la parole, mais hélas
pour elle, garde la conscience et comprend son état !
Alors, elle ne veut plus vivre, râle, n’est plus comprise et
tous deux sont désespérés…
Dans ce film, les gens vivent, agissent, communiquent ou
essaient de le faire et jamais on ne voit fleurir un sourire sur les lèvres…
Les regards sont tristes, silencieux, intériorisés, anxieux.
La caméra filme, au plus près, cette descente aux abîmes,
aux enfers. Elle ne fait cadeau de rien, les rides, le pas qui traîne, les
habits qui se souillent, j’ai même pensé qu’il ne manquait que l’odeur !
Dans un dernier sursaut de vie et de fierté Anne, refuse de
boire et de manger pour mourir… Elle crache au visage de son mari, l’eau qu’il lui donne pour l’hydrater … c’est
pour elle le dernier cri de douleur et de souffrance et lui excédé, fatigué, exténué,
la gifle…
Le silence qui suit la gifle, est terrifiant, ils mesurent tous
les deux, la déliquescence, la détérioration de leur impossibilité à
communiquer, et la terrible avancée de la déchéance.
Nous voilà, nous spectateurs de ce huis clos étouffant, dans
l’empathie complète avec les deux protagonistes, car sont-ils encore un homme
et une femme qui se sont aimés ? Il est devenu un vieillard courageux qui
soigne une vieille dame malade, consciente de sa déchéance. Elle ne veut pas
être ce qu’elle est devenue, la seule sortie honorable est choisir de mourir …
Tout devient triste, lourd, dur et invivable…
Elle ne parle plus, elle crie, râle, et lui s’essouffle…
Ils meurent leur vie d’avant, l’espérance s’est éteinte,
l’horreur s’est installée.
Dans ce huis clos indigne et ignominieux, nous sommes, nous spectateurs, écrasés comme
Anne et Georges par leur extrême désarroi...
Nous voilà confrontés à ce questionnement sur la fin de vie
active, film dont l’histoire est un plaidoyer silencieux.
Le générique de fin défile, sans musique… dans la salle, pas
un souffle, le silence de mort nous écrase tous… personne ne se lève, nous sommes renvoyés à nous-mêmes, à notre
propre mort et à l’angoisse de cette lente désagrégation de nous-mêmes…
Nous finissons par
nous lever, sans un mot, c’est tout juste si l’on ose croiser le regard de son
voisin.
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