Hannah ARENDT - Film de
Margarethe Von Trotta
Hannah Arendt est interprétée par Barbara Sukowa.
Les acteurs qui
gravitent autour de Barbara Sukowa dont Axel Milberg (son époux) Janet McTeer (son
amie) Julia Jentsch (sa secrétaire) représentent le cercle dans lequel H.Arendt
évoluait. Leur rôle étoffe l’histoire mais ne change en rien l’expression de la
pensée, les actes, les écrits et les prises de position de celle-ci.
Le film commence, quand Adolf Eichmann est enlevé en mai
1960 par le Mossad, pour le transférer et le faire juger par l’état
d’Israël. C’est l’histoire vraie du
procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, en corrélation avec les comptes-rendus qu’Hannah
Arendt a rédigés à l’issue du procès.
Hannah Arendt, philosophe, écrivain, journaliste, juive
d’origine allemande vivant aux Etats-Unis (naturalisée américaine), demande en
tant que journaliste à se rendre à Jérusalem pour couvrir le procès Eichmann.
Elle assistera à son ouverture en mai 1961 mais ne restera pas en Israël
pendant toute la durée de l’évènement. Revenue aux Etats-Unis, elle suivra tous les débats par la lecture
complète des interrogatoires et témoignages consignés dans un mémoire de
presque 4000 pages. C’est de l’analyse intellectuelle et philosophique de ce
procès que naîtra sa théorie sur la « banalité du mal ».
Le procès d’Adolf Eichmann est un évènement majeur pour les
Juifs. Il leur permet de faire reconnaître leurs souffrances, de les
médiatiser, et de les exorciser. Par le témoignage des horreurs subies,
l’expression des émotions, des douleurs, des traumatismes, ils tentent d’évacuer
les abominations commises à leur égard.
En jugeant Adolf Eichmann, le peuple juif juge l’Histoire du
IIIe Reich, s’explique auprès des siens et des plus jeunes qui s’insurgent
contre une apparente soumission, se reconstruit, venge une humiliation, un
écrasement, une haine, les spoliations dont il a été l’objet…
Objets véritables, hommes, femmes, enfants méprisés,
bafoués, humiliés, assassinés, défaits de toute valeur humaine. Il fallait à ce
peuple, un procès spectacle ! Un procès pour ces 6 millions d’êtres anéantis,
devenus accusateurs silencieux d’un crime organisé.
Un procès qui devait être un chemin de résilience
collective.
Pour mémoire, Adolf Eichmann, est dès 1935 affecté au bureau
des Affaires Juives, en 1939 il prend la tête du
Service central de l’émigration. La « question juive » par les nazis
a commencé par la volonté d’une « émigration forcée » puis par une «solution territoriale »
et par la décision de l’élimination physique d’un peuple entier appelé : «solution finale ».
C’est à cet effet, qu’en 1942 Adolf
Eichmann se rend dans de nombreux pays d’Europe (France, Italie, Slovaquie, Danemark,
Pays-Bas, Belgique) pour la mise en place des déportations et le but avéré d’organiser
la « solution finale ».
Hannah Arendt montre l’implication de l’Europe qui a laissé
un pouvoir totalitaire mettre en place un crime de masse. Un certain nombre de
pays européens n’est pas vierge de toute aide active
ou silencieuse au service de l’idéologie nazie : La France et ses camps d’internement,
solution transitoire avant la déportation, L’Italie mussolinienne, la Suisse
jouant le rôle de Ponce Pilate, la Pologne qui recense sa population juive, la
Russie, Le Danemark, jusqu’au Vatican et la Croix Rouge qui couvrent la fuite
des chefs nazis en fournissant faux-papiers et filière pour échapper aux recherches
et poursuites en vue de procès (dont celui de Nuremberg 1945- 1946).
Mais Hannah Arendt va encore plus
loin. Elle met en cause les responsables des organisations juives. Elle ne les
accuse pas de collaboration mais de coopération avec les nazis, soit par le fait que les Conseils Juifs aient
pu dénombrer leur population voire même d’organiser leur déportation. Cette
grave accusation va soulever une terrible polémique qui agite encore
aujourd’hui. L’accusation est reçue comme infamante par le peuple et les
Conseils juifs. Elle en perdra des amis très chers qui ne lui pardonneront pas
cet outrage.
H.Arendt dit précisément ces
mots : « Pour un Juif, cette
participation des responsables juifs à l’extermination de leur propre peuple
est, sans doute, le plus sombre chapitre de cette sombre histoire »
Le film retrace la prise de
position d’Hannah Arendt, l’hostilité, la haine et l’incompréhension qu’elle a
soulevées contre elle après avoir émis sa théorie du mal, dans le magazine du
New-Yorker sous le titre « Eichman
à Jérusalem ». Pour elle, c’est un « petit », un exécutant, un
être falot. Elle montre comment elle arrive à ces conclusions, explique son propre
cheminement intellectuel, sa pensée, le jugement qu’elle porte sur Eichmann, la
hauteur, la distance qu’elle a pris face aux tumultes de l’histoire.
C’est sa théorie de la
« banalité du mal » expliquant qu’il est commis par des êtres qui
n’ont ni motifs ni conscience. Elle pense qu’Eichmann a mis en place une
stratégie de liquidation d’un peuple, dans un vide moral absolu. Il est pour
elle, la définition de la bêtise au service du crime, une preuve de l’absence de courage civique, la démonstration
de l’incapacité d’une pensée autonome, la certitude de l’absurdité.
Pour elle, Eichmann n’est ni
fanatique, ni endoctriné, mais un médiocre, une cruelle cheville ouvrière sans
conscience. Hannah Arendt ne défend pas Eichmann, elle le méprise, le considère
comme un être indigne et vil, incapable d’une pensée autonome, ne sachant pas
distinguer en être pensant le Bien du Mal, le Beau du Laid.
L’analyse d’H.Arendt a suscité
tant de polémiques qu’elle a même été accusée d’être favorable à l’idéologie
nazie. Mais, cette philosophe qui a échappé à l’extermination, a dépassé par sa
réflexion l’horreur des crimes. Elle s’est élevée dans une pensée abstraite. On
peut imaginer à sa décharge une jubilation intellectuelle de l’écriture, le
maniement des concepts qui lui font gommer des faits existants. Le peuple Juif,
lui, ne pouvait oublier de telles
abjections pour avoir vécu les horreurs de la guerre et du génocide dans une
réalité concrète.
Faut-il réduire Adolf Eichmann au
jugement d’Hannah Arendt ?
Faut-il en faire simplement un
fonctionnaire zélé, sans conscience ? Lui qui :
-
organise l’expulsion
de 50 000 Juifs en Autriche, puis à Prague
-
supervise la mise en
œuvre des mesures discriminatoires (étoile jaune)
-
organise les
déportations
-
transforme et aménage
le camp de Terezin (République Tchèque)
en camp de la mort
-
visite et inspecte
Treblinka, Auschwitz…
-
décide d’une
« dernière marche vers la mort » à Auschwitz alors qu’Himmler a
ordonné l’arrêt des exterminations (octobre 1944)
Eichmann n’était-il qu’un simple exécutant
sans âme ? Cela ne correspond pas, pourtant à son ascension
professionnelle. Lui, le sans diplôme,
passe dans la SS de 1933 à 1941 du grade de caporal à celui de lieutenant
colonel.
« Arbeit macht frei », le
travail rend libre, douloureuse maxime inscrite aux entrées des camps de
concentration !
Ne serait-il pas plus fort
d’affirmer avec Hannah Arendt pour rassembler nos idées, nos disparités, nos
difficiles confrontations : Encore plus que le travail
La pensée rend libre.
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