Préambule

Au hasard des Arts…

Un blog pour tous, pour rêver, partager une découverte, un regard, donner envie de voir, revoir, savoir, et même chercher, s’interroger, s’insurger, s’étonner, s’émerveiller…
Franchement, ces arts, quel bazar !!!

Le hasard des Arts, n’est pas véritablement un hasard, si ce n’est qu’il sera dicté par l’aléatoire
du livre que j’aurai lu,
du film que j’aurai vu,
de l’expo que j’aurai découverte
de l’émotion que j’aurai ressentie pour un poème, une toile, une sculpture...

Et que sais-je encore ?
Nous allons découvrir et partager, tout cela ensemble.
Des évènements dictés par l’actualité, mais aussi par la découverte ou la redécouverte d’un artiste, d’une œuvre.


Je vous livrerai ainsi le fruit de mes réflexions, de mes engagements, et de mes combats …

mercredi 14 mai 2014

Le collier rouge de Jean-Christophe Rufin

Le collier rouge de Jean Christophe RUFIN

Je voudrais vous parler du dernier  livre de Jean-Christophe Rufin.
Vous connaissez cet auteur, médecin, ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie, il a écrit entre autres « L’abyssin » « Rouge-Brésil » tous deux Goncourt en1997 et 2001, puis « Jacques Cœur », et ce dernier roman paru chez Gallimard « Le collier rouge »

Première de couverture "Le collier rouge"
Le bandeau du livre montre un chien décoré de la Croix de Guerre avec deux étoiles
(voir le site: Les chiens de France de la Grande Guerre 1914 - 1918)

Si vous avez lu le résumé ou des articles concernant le livre, vous savez qu’il s’agit d’un court écrit racontant une histoire qui se situe pendant l’été  1919, où un héros de guerre est incarcéré dans une caserne déserte pour une faute dont on ne nous dit rien. Là arrive un officier-aristocrate pour enquêter, comprendre l’affaire et juger la faute. Il y a aussi une femme, Valentine,  qui attend et se tait, et un chien qui hurle à la mort tout le long des pages du livre…
C’est un roman d’atmosphère qui traduit les chaleurs de l’été en Berry, c’est aussi une réflexion sur les hommes dans une après-guerre difficile et toujours … un chien qui aboie et manifeste en leitmotiv son courage, sa fidélité, dans la volonté d’être entendu, de transmettre un message.
Non, il ne s’agit pas d’un roman mièvre sur la relation d’un homme et d’un chien. Ses aboiements résonnent comme des questions, des interrogations, des plongées au fond de nous-mêmes. Il nous faut avec le juge de l’histoire, dénouer les mystères, les secrets d’un homme qui s’enfonce dans sa provocation. Comprendre les raisons qui ont amené le caporal Morlac, au fond de cette petite prison de province.

Le livre retrace les entretiens entre le juge Lantier du Grez et Morlac… Peu à peu, les apparences s’effacent pour laisser apparaître les fêlures, les contradictions, les révoltes, l’histoire personnelle des deux protagonistes, tout cet étagement psychologique qui fait l’originalité et la particularité de chacun… Lantier du Grez, officier distant et de bonne éducation, modéré et sage, délicat et sensible portant lui aussi ses traumatismes essaie de comprendre  Morlac l’insurgé douloureux, se murant dans ses silences…

Mais ces deux hommes d’origine si différente ont en commun l’épreuve de la guerre… JC Rufin écrit :
« Ils avaient cela en commun, tous les deux, cette fatigue qui ôte toute force et toute envie de dire et de penser des choses qui ne soient pas vraies. Et en même temps, parmi ces pensées, celles qui portaient sur l’avenir, le bonheur, l’espoir étaient impossibles à formuler car aussitôt détruites par la réalité sordide de la guerre. Il ne restait que des phrases tristes, exprimées avec l’extrême dépouillement du désespoir ».


Lentement avec patience, dans ce livre « Le collier rouge » de Rufin,  le juge cherche à comprendre les contradictions d’un homme décoré de la Croix de guerre qui  insulte, défie l’ordre et la loi. Quel sens et quelles raisons peuvent expliquer cette provocation ? C’est le fil conducteur de l’histoire.
Car oui, la faute de Morlac est si grave, du moins en 1919, que celui-ci risque le bagne !

Tout doucement, il faut que les personnages du livre s’apprivoisent, se découvrent, apprennent à se connaître, comme il faut aussi le faire avec ce chien qui se tait chaque fois, que le juge approche son maître. La fidélité est au cœur de ce roman.
Guillaume, le chien -les hommes des tranchées, l’ont baptisé ainsi par dérision et référence au Kaiser- est un compagnon loyal et dévoué, engagé comme son maître dans une guerre qu’il subit et ne comprend pas. Guillaume a choisi Morlac et non l’inverse, il l’accompagne et combat à ses côtés. Pourtant Morlac porte à l’animal une sorte d’indifférence mêlée de rancune …

C’est curieux et surprenant cette relation teintée à la fois, d’insensibilité, de respect, d’amour et de fidélité.
Le juge Lantier s’étonne de cette cruelle injustice, il s’émeut du courage de cet animal, qui a la force de hurler son attachement, jour et nuit dans une chaleur épuisante …
Ses aboiements sont des messages à décrypter au même titre qu’il faut accéder à la personnalité complexe du prisonnier.
Et puis, Morlac l’insoumis est un écorché, fidèle au même titre que Guillaume… Il est revenu au pays pour Valentine, sa compagne, celle dont il a un fils, et pourtant au dernier moment dans un revirement que l’on ne comprend pas, il s’enfuit, refuse de la revoir.

Femme dans les champs pendant la guerre de 1914 - 1918
Extrait du documentaire ecpa
Cette femme recluse au fond de sa campagne est dure, courageuse à la tâche et instruite.. Elle est celle qui a façonné l’esprit de Morlac, cet homme qu’elle aime, lui faisant lire Proudhon Propotkine, Marx, lui insufflant  le goût de la révolte et de l’admiration de la Révolution russe…


Le juge, un homme de paix,  remonte le fil, de la pensée et des choix du caporal. Il perce à jour les désespoirs, les rébellions, les dissidences.

Je vous livre cet extrait :
Le juge « se leva et ouvrit la fenêtre. Le chien toujours au même endroit, s’était dressé sur ses pattes de derrière.
- Vous êtes très injuste avec ce pauvre animal, dit le juge pensivement. Vous lui en voulez pour sa fidélité. Vous dites que c’est une qualité de bête. Mais nous en sommes tous pourvus, et vous le premier… Vous portez cette qualité si haut, que vous n’avez jamais pardonné à Valentine d’en manquer. Vous êtes l’homme le plus fidèle que je connaisse. C’est pour elle que vous êtes revenu ici, n’est-ce pas ?
Morlac haussa les épaules.
- Je crois, poursuivit le juge, que la vraie différence avec les bêtes, ce n’est pas la fidélité. Le trait le plus proprement humain et qui leur fait complément défaut, c’est un autre sentiment, que vous avez de reste.
- Lequel ?
- L’orgueil !
Il avait touché juste et l’ancien combattant, perdait son assurance.
- Vous avez préféré la punir et vous punir en mettant en scène ce simulacre de rébellion, plutôt que de lui parler pour connaître la vérité. C’était un évènement sur mesure pour elle
- Tant mieux si elle a reçu le message.
- Malheureusement vous n’avez pas entendu sa réponse »


A la suite des pages, nous devinons que JC Rufin entretient le mystère, sur les silences du caporal Morlac. Notre questionnement notre désir de comprendre, sont des éléments qui s’inscrivent dans notre pensée, et c’est à la fin du livre que nous reconstituons le puzzle. Chaque personnage, chaque acte prend une résonnance, un éclairage, qui nous conduit dans une réflexion personnelle sur la révolte, la fidélité, l’héroïsme.
Qui est le héros du livre ? Qu’est-ce qui le définit?
C’est la lecture de l’évènement, faite avec le recul qui nomme le  héros.
On ne naît pas héros, on le devient par le regard des autres qui confèrent la distinction,  en fonction des actions réalisées.
Le héros est courageux, et porte en lui une part d’inconscience face au danger.
Il est fort, et ne s’enorgueillit pas de sa prouesse.
Il ignore la difficulté, et le danger.
Il est fidèle, il ne remet pas en question sa ligne de conduite. Sa loyauté est sans faille.
A l’énoncé de tous ces critères, ne pourrait-on pas penser que le vrai héros de l’histoire est Guillaume ?  Guillaume, chien au collier rouge, référence non formulée au cordon de la légion d’honneur…

Morlac quant à lui, représente notre humanité, il n’a pas la grandeur et la noblesse des héros tragiques. Il est une facette de nous-mêmes, et ses sentiments, ses réactions sont les nôtres, nous nous y reconnaissons dans sa complexité, sa violence, ses révoltes, ses souffrances, son questionnement. Aux aboiements incessants du chien, il oppose un silence douloureux, qui hurle au même titre que l’animal la douleur de ne pas être compris.


Dans ce livre, « Le collier rouge » de JC Ruffin, les projets de révolte de l’armée française au cours de cette Grande Guerre de 14/18 sont évoqués. Nous comprenons avec le recul et l’analyse que ce sont ces quelques pages, parlant de rébellion dans les armées,  qui forment le nœud du roman dans lequel s’imbriquent Valentine – Morlac – Guillaume et le juge.


Je vous invite à découvrir ce livre, émouvant sensible et porteur de réflexion. 
Vous le lirez dans sa trame, ensuite il résonnera en vous, portera votre méditation encore une fois sur les désordres, les cassures et les déchirures de la guerre. 




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